Vice aurait peut-être dû réfléchir à deux fois avant de consacrer une série de photos de mode à des écrivaines certes talentueuses, mais qui ont toutes un point commun : celui d'avoir mis fin à leurs jours ou du moins d'y avoir attenté.
Dans son dernier numéro intitulé « The Fiction Issue 2013 », le magazine américain a en effet décidé de rendre un curieux hommage aux femmes de lettres. Sous le titre « The Last Words », Vice a publié un shooting mode mettant en scène des mannequins qui, grimées en écrivaines connues, rejouent la scène de leur suicide. On y voit ainsi une jeune mannequin camper Virginia Woolf sur le point de se noyer, une fausse Sylvia Plath la corde au cou ou encore la défenestration de la poétesse Elise Cowen. Une esthétique morbide savamment entretenue et qui pourrait, comme l'indique Les Inrocks, s'apparenter à une démarche artistique si l'ensemble des mannequins sur le point d'en finir avec la vie ne portaient pas sur le dos des vêtements de couturiers dont elles font en réalité la promotion.
Vrai parti pris artistique ou habile coup de pub ? Pour le magazine féminin en ligne Jezebel, il ne fait aucun doute que Vice, connu pour ses articles décalés et souvent insolents, est cette fois-ci allé trop loin. L'auteure de l'article Jenna Sauers dénonce le manque de considération total de Vice pour ces femmes de lettres : « Ce ne sont pas des personnages fictifs, ce sont de vraies femmes, qui ont vécu, se sont battues et sont mortes, et traiter leurs moments de faiblesse comme un moyen de remplir une série mode est quelque chose de honteux et de triste. » Qualifiant la série mode de « tordue », uniquement faite pour « épater le bourgeois », Jenna Sauers n'est pas la seule à avoir été outrée par les photographies publiées par Vice. Le New York Mag a lui aussi estimé que le magazine avait fait un « travail horrible », tandis que Salon a dénoncé avec virulence sa démarche voyeuriste et intéressée : « L'art peut et devrait parfois être provocateur – ça ne fait aucun doute. Mais ceci n'est pas de l'art mais une décision éditoriale visant à augmenter le nombre de pages vues et, peut-être, à paraître cool […] »
Vice a finalement décidé de supprimer de son site les photos incriminées et a présenté, via un communiqué, ses excuses dans lequel il explique que « le but principal est de créer des images artistiques, le message relatif à la mode étant secondaire. »
Pas sûr que cette explication suffise car, comme l'a analysé l'écrivaine Joyce Carol Oates sur Twitter, où peut se situer la démarche artistique lorsque les écrivaines mises en scène sont jouées par des mannequins « plus jeunes, plus attirantes et plus stylées » ?