Vous avez remarqué ? Quand il est question d'humour et de gent féminine, il y a une chance sur deux pour qu'une réflexion bien sexiste envenime la conversation. Et c'est encore pire dans le domaine pro. C'est tout du moins ce que démontre cette recherche édifiante, focalisée sur les discours, séminaires et autres conférences. Son constat est cinglant comme il faut : lors de ces événements, essayer de faire rire l'assistance vous aide si vous êtes un homme, oui... mais vous handicape fortement si vous êtes une femme.
Les observations des nombreux doctorants (en leadership, études comportementales, psychologie et administration) à l'origine de cette synthèse sont sans appel : lorsque les hommes épicent leur présentation commerciale avec un brin d'humour, leur public envisage cela comme un signe de confiance. Et donc, forcément, une marque "de respect et de prestige". Bref, le type de compétence saluée dans le monde du travail.
A l'inverse, les oratrices qui en font état sont jugées différemment : leur fantaisie les rendrait moins légitimes. Ébranlerait la pertinence de leur discours comme un château de cartes. Et ce alors que leur présentation est similaire. C'est absurde bien sûr, mais cela en dit long sur le sexisme en entreprise. Raison de plus pour imposer sa voix de leadeuse ?
A la source de ce constat, une expérience sociale impliquant plus de 300 employés américains. Chacun a du visionner plusieurs vidéos mettant en scène un gérant puis une gérante, tous deux interprétés par des comédiens. Dans ces petits films, ces orateurs présentent un rapport de performance trimestriel au sein d'une salle de conférence. Dans un cas, ils ponctuent leur discours de quelques traits d'autodérision, et dans l'autre non. Après visionnage, les chercheurs ont recueilli les réactions des employés, puis ont établi des statistiques générales.
Résultat ? L'usage de l'humour par la (fausse) gérante a été jugée "moins fonctionnel et plus perturbateur" que son emploi (similaire) par le (faux) gérant. Il a suscité la réticence des employés, oui, mais également des employées (avec un e !) : les femmes salariées elles aussi jugent négativement cet humour au féminin. Un verdict qui fait mal.
Mais pourquoi parler d'humour "perturbateur" et "fonctionnel" ? Car la vanne n'est pas qu'un gadget. Non, c'est une stratégie rhétorique, si ce n'est une arme. Le trait d'esprit, rappelle l'étude, est le moyen idéal de présenter ses arguments et d'être persuasif auprès de son audience. Plus encore, il permet (quand il est bien amené) une véritable "conquête du public". Autrement dit, une bonne blague est le Saint Graal des businessmen et autres férus de conférences TedX, la botte secrète de ceux qui s'exercent à capter l'attention et convaincre le public. Mieux encore, il a été démontré que l'humour permettrait aux patrons d'augmenter le taux de motivation de leurs employés, en diminuant leur stress et en facilitant les interactions. Oui, le rire, c'est très sérieux.
Mais pour les leadeuses, c'est une autre paire de manches. Selon les observations statistiques des chercheurs, un homme qui tente de faire rire ses collègues ou employés sera considéré à l'unanimité comme un élément positif. Il est celui qui détend l'atmosphère, permet une forme de complicité, facilite les conditions de travail. Bref, il "rend les problèmes internes moins intimidants". Mais les femmes, elles, demeurent "l'élément négatif". Leur humour serait synonyme de distraction, jugé inadéquat sur le terrain professionnel. Autrement dit, la qualité purement "fonctionnelle" (selon le jargon) de cet humour est considérée comme nulle.
Et pour saisir pourquoi, il faut admettre que la réception de cet humour est étroitement liée aux stéréotypes de genre les plus tenaces. Vous savez, ces croyances qui dictent aux femmes comment bien se comporter et aux hommes comment penser (ou parler, ou se tenir). Selon ces préjugés - parfois inconscients - l'homme serait plus naturellement assigné aux tâches de management et de leadership, et la femme à des fonctions plus "subalternes". Elle serait moins ambitieuse et la réussite pro' lui serait plus difficilement assignée. Une idée aussi saugrenue qu'inexacte. Mais le mal est fait : les réactions suscitées par l'humour dépendent des attentes de l'audience, et ces attentes sont indissociables de ces préjugés.
Il n'en faut pas plus pour démontrer que l'humour est un signe d'autorité. Autorité d'un individu, qui occupe un certain poste, mais surtout autorité d'un genre, dominant au sein d'une sphère déterminée. Et son usage ne fait qu'exacerber les disparités de cette réalité professionnelle. La preuve ? L'un des participants de cette enquête a dit aux chercheurs que la gérante "tentait de masquer son manque de sens des affaires en faisant de petites blagues". Mais pour le gérant, c'est différent : en blaguant face à l'audience, il était "plein d'esprit", assure une autre voix anonyme. Comme si les vannes des working girls, elles, étaient contre-productives. Sans rire !
Oui, les blagues peuvent être les mêmes d'un genre à l'autre. Mais leur réception dépend toujours du sexe de l'émetteur. Comme le détaille par exemple le magazine de business Forbes, l'auto-dérision sera synonyme d'assurance en étant employée par un homme, mais d'auto-dépréciation lorsqu'elle l'est par une femme. C'est tout du moins ainsi qu'audience et professionnels de la bureaucratie l'envisagent, et c'est triste. L'on pourrait de notre côté suggérer que, bien souvent, critiquer l'humour des dirigeantes est avant tout une excuse pour remettre en question la légitimé des leadeuses en question. Un argument bien facile. Du sexisme déguisé, ni vu ni connu.
Il faut dire que dans un monde pro où perdurent les inégalités salariales (au moins jusqu'en 2255), l'on rit souvent jaune lorsque l'on est une femme. Mais n'en déplaise à autrui, l'humour ne doit pas être exclu du discours des femmes dirigeantes, entrepreneuses et employées. S'il fait grincer les dents des esprits les plus étroits, il invite avant tout ceux-ci à réviser leurs préjugés. Et ainsi, qui sait, à faire évoluer les mentalités. Histoire que, un jour peut être, ces statistiques ne soient plus qu'une mauvaise blague.