Dans leur chambre d'une fraternité de l'université de Furman en Caroline du Sud, Brookes Buffington et Tyler Droll n'étaient pas près de se douter où les mènerait leur invention. Depuis la sortie de leur application de messagerie, fin 2013, jusqu'à cette levée de fonds dans les bureaux de Sequoia Capital en novembre 2014, les deux étudiants ont vu leur trouvaille se répandre comme une trainée de poudre. Au risque de leur échapper.
Fondée il y a tout juste un an, Yik Yak est une appli de messagerie anonyme, disponible sur mobile uniquement (iOS et Android). Son principe : chaque utilisateur peut communiquer via de courts messages avec les personnes se trouvant dans un rayon de deux kilomètres, le tout sans dévoiler son identité. « Get a live feed of what everyone's saying around you », résume le nouveau réseau social sur son site internet. Seule limite : la longueur des posts, plafonnée à 200 caractères.
Sorte de Twitter anonyme et géolocalisé, l'appli permet ensuite à chacun d'indiquer son intérêt pour une publication (via un système d'upvote similaire à celui du site d'hébergement d'image Imgur) ou même d'accéder aux messages postés dans d'autres communautés, en dehors du champ des deux kilomètres.
A quoi ça sert ? Les usages sont multiples. Echanges amicaux, service d'informations de proximité... Mais aussi, comme pour beaucoup de réseaux anonymes, diffusion de rumeurs, propos misogynes, insultes voire menaces. Ce cyber-harcèlement est d'ailleurs l'un des reproches faits aux deux fondateurs de Yik Yak. Malgré la mise en place d'une interdiction aux moins de 17 ans, l'entreprise a dû imaginer un dispositif de géofencing, activable sur demande, de façon à empêcher l'utilisation de l'application dans les collèges et écoles.
Mais si la messagerie au nom de ruminant n'est pas la bienvenue dans ces établissements, le concept cartonne sur les campus des universités. A grand coups d'opérations séduction auprès des étudiants, lors de « Yik Yak Campus tour », la société a fait passer son produit dans les habitudes, Yik Yak faisant désormais partie du quotidien de 1300 campus.
Mieux, depuis environ 6 mois, l’appli se classe régulièrement dans le top 20 de l’Appstore US. Un succès qui n'a pas échappé aux investisseurs, toujours à l'affût de pépites digitales valorisées des milliards, comme Snapchat et WhatsApp. En un an d'existence, la start-up basée à Atlanta a déjà bouclé trois levées de fonds. Dernier tour de table en date : celui conclu avec Sequoia Capital, pour une somme de 62 millions de dollars, portant à 73,5 millions la somme totale levée en un an, selon le Wall Street Journal. L'opération ferait ainsi grimper la valorisation de la société à quelques centaines de millions de dollars, selon une source proche du dossier citée par le WSJ.
Une somme colossale pour une application dont l'un des fondements, l'anonymat, a déjà largement été exploité dans la Silicon Valley, Whisper et Secret en tête. Mais « Yik Yak met bien moins en avant la fonctionnalité anonyme que les applications auxquelles elle est souvent comparée », fait observer Journal du Net. « Contrairement à Secret ou Whisper, les utilisateurs peuvent aussi bien choisir d'indiquer leur vrai nom en tant que pseudo... Tout comme sur Twitter. Objectif des co-fondateurs : bâtir un Twitter nouvelle génération », poursuit le site spécialisé.
Pour se donner les moyens de ses ambitions, la société de Droll et Buffington, qui emploie moins de 10 personnes, a décidé de lancer des recrutements à l'international. Premiers pays visés par l'application : la Grande-Bretagne, le Canada et l'Australie. Mais le succès viral du concept aux Etats-Unis vaut déjà à ses créateurs quelques ennuis judiciaires.
Un an après sa création, un autre Américain, Douglas Warstler, revendique une part de paternité dans la création de l'application. Assurant avoir été évincé par le duo, le jeune homme s'est offert les services des avocats de Lee Tran & Liang, un cabinet qui a défendu, par le passé, les droits d’un associé lésé dans Snapchat. Une histoire qui rappelle celle d'un certain Mark Zuckerberg, en son temps poursuivi par les frères Winklevoss pour des raisons similaires, à la création de Facebook. Il faudra pourtant encore patienter quelques années avant de savoir si Yik Yak connaîtra le même succès que le plus grand réseau social du monde.