Chez Plon, on reçoit environ 200 manuscrits par mois, j’en reçois une cinquantaine à mon nom, de personnes que je ne connais pas mais qui ont supposé qu’un envoi nominatif serait plus efficace.
Chez nous, comme chez la plupart des éditeurs, la première étape consiste à trier les manuscrits, une équipe est donc chargée de regarder tout ce que l’on reçoit afin de constituer trois piles : les manuscrits où l’on voit tout de suite que ça ne va pas, ceux pour lesquels on a des doutes, et enfin, de temps en temps, la perle.
Quand on sent qu’un livre a du potentiel, il passe par le « réseau de lecteurs », constitué d’une dizaine de personnes, souvent des gens qui travaillent autour de la maison d’édition comme rewriters, des étudiants en lettres, ou tout simplement de grands lecteurs… Si on reçoit trois bons rapports de lecture, c'est-à-dire si quand au moins trois lecteurs nous disent « là, il y a quelque chose », le livre passe en comité de lecture. Mais si les rapports de lecteurs s’avèrent vraiment très enthousiastes, on saute le comité de lecture et le manuscrit arrive directement sur mon bureau ou sur celui de mes collaborateurs.
L’honnêteté m’oblige à dire que quand certains textes sont de gens que je connais ou qui me sont recommandés, je les lis directement. C’est vrai que c’est une forme d’injustice : si vous connaissez un éditeur, vous ne passez pas par tout le réseau de lecteurs, ça ira donc plus vite.
Enfin, après tous ces filtres, la décision m’appartient d’éditer ou pas.
On décide d’éditer un premier roman quand on en a repéré l’originalité, l’écriture, l’osmose qui va se dégager entre le sujet et le style de l’auteur, la force d’évocation du livre. C’est le point de départ. A partir de là on discute avec l’auteur en lui indiquant qu’il pourrait travailler avec un tel ou un tel pour aller au bout de son potentiel.
Comme je le dis toujours, je ne suis pas romancière, mon rôle est de pousser l’auteur le plus loin possible. C’est une manière de le guider mais on ne réécrit jamais le texte proposé par un auteur, si c’est un véritable écrivain, il n’a pas besoin de moi pour savoir comment écrire.
Simplement, très souvent, les personnages ne sont pas assez développés, l’intrigue n’est pas cohérente, ou à un certain moment, ça va trop vite…
Il n’y a pas de règles. Il y a des gens qui ont du talent et d’autres qui n’en ont pas. C’est injuste, c’est quelque chose qu’on porte en soi ou non…
Par contre il peut arriver d’être refusé par une maison d’édition, mais cela ne veut pas dire que votre roman est un échec. Si vous considérez tous les éditeurs, je ne crois pas qu’un chef d’œuvre puisse rester dans l’oubli, mais à l’échelle d’un éditeur, c’est tout à fait possible de passer à coté d’un bon livre. On loupe des choses parfois. Mais à l’arrivée, si vous avez du talent, vous serez édité, c’est sûr.
Il faut savoir si c’est vraiment ce que vous voulez faire, si c’est vraiment quelque chose que vous portez en vous depuis longtemps. Si vous avez un certain âge et que vous vous levez un jour en vous disant « tiens, je vais écrire un roman !», là… je me méfie !
Il y a souvent des gens qui me proposent un livre et à qui je demande s’il s’agit de leur premier texte. Ils me répondent le plus souvent non. C’est seulement le premier qu’ils osent montrer. C’est en général plutôt bon signe.
La nécessité. Le romancier, c’est comme le peintre, c’est celui qui va porter en lui sa réalité, sa musique… Il y a des gens qui pensent qu’écrire, c’est très simple, qu’il suffit d’avoir une bonne histoire. Ca n’a rien à voir. Il s’agit d’avoir quelque chose qu’on porte en soi très fortement.
Comme je le dis souvent, on peut vivre sans écrire. On n’est pas obligé d’écrire! La nécessité doit venir de soi-même, de l’intérieur.
Les auteurs me demandent de plus en plus et dès la publication de leur premier roman s’ils pourront vivre de leur plume. Et je dois bien répondre que non ! Pas tout de suite en tous cas…
Le temps semble raccourci aujourd’hui, on veut tout, tout de suite : l’argent, la reconnaissance, et si possible le Goncourt. Pourtant c’est assez paradoxal, car on écrit rarement pour ces raisons.
Si vous voulez en vivre, vous écrivez des « produits », c'est-à-dire de la littérature de genre (pour laquelle je n’ai aucun mépris car il faut un vrai talent pour le faire) et vous enchainez des histoires bien ficelées, à la Guillaume Musso ou à la Marc Levy, c’est un choix.
Mais si on veut faire de la littérature plus profonde, c’est très long, et le succès reste imprévisible. On peut vendre 600 exemplaires de son premier roman. Ca ne veut pas dire que le prochain sera un bide mais on ne peut rien promettre.
Un succès critique peut parfois aider. Comme lors de la sortie des Bienveillantes qui fut d’abord un succès de presse et de bouche à oreilles. Mais parfois vous avez des auteurs qui ont une presse énorme mais qui ne décollent pas. On ne sait pas pourquoi, surtout dans le roman…
L’édition est une science inexacte et artisanale… c’est ce qui la rend passionnante !
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