"Fermez-les jambes, ouvrez les cahiers", cette injonction, lancée aux élèves par Marie-Reine Ogou, directrice régionale de l'éducation nationale et de l'enseignement technique dans l'Iffou (Est de la Côte d'Ivoire) et mise en musique par un professeur d'art plastique du lycée Henri Konan Bédié de Daoukro, est devenue le symbole de la sensibilisation à l'éducation sexuelle des élèves en Côte d'Ivoire.
Dans ce pays de 23 millions d'habitants où près de 40% de la population a moins de 15 ans, les autorités sont confrontées à une multiplication des grossesses en milieu scolaire ces dernières années. Une étude, lancée par le ministère ivoirien de l'Education nationale et de l'Enseignement technique, a enregistré 5 076 grossesses dans les établissements de premier et second degré durant l'année scolaire 2012 - 2013. Un chiffre alarmant en comparaison aux 1 292 élèves tombées enceintes lors de la précédente enquête menée en 2007-2008.
Si différents facteurs - pauvreté, patriarcat, mariages forcés... - peuvent expliquer ce taux de grossesses précoces élevé chez les adolescentes, "l'absence de cours d'éducation sexuelle dans les écoles et le manque de communication entre parents et enfants à propos de la sexualité", est pointée du doigt par Saidou Kaboré, représentant du Fonds des Nations Unies pour la population (Unfpa) en Côte d'Ivoire.
Pour endiguer ce phénomène de grossesses précoces chez les Ivoiriennes, dont les plus jeunes ont à peine 9 ans, mais qui concernent en majorité des adolescentes âgées de 13 ou 14 ans, les autorités ivoiriennes ont donc décidé de lancer en février 2014 en partenariat avec l'Unfpa, la campagne "zéro grossesse en milieu scolaire".
Objectif de l'opération : sensibiliser les élèves aux aléas liés à la sexualité précoce, tels que les infections sexuellement transmissibles, les grossesses non désirées, ou les conséquences du recours à l'avortement clandestin. En effet, l'interruption volontaire de grossesse est interdite par la loi ivoirienne. En conséquence, celles-ci se pratiquent à l'ombre des regards et dans des conditions déplorables, responsables de douleurs pelviennes chroniques ou de perforations utérines.
Ainsi, le personnel féminin, reconverti en "tutrices", prodigue des conseils à des groupes d'une vingtaine d'élèves au sein de chaque établissement. Ces dernières se chargent ensuite de relayer le message à leurs camarades. Des cours d'éducation sexuelle sont aussi dispensés et la thématique est abordée lors d'activités extra-scolaires. Les infirmeries scolaires sont quant à elles chargées des questions de contraception et des campagnes en faveur de l'utilisation systématique du préservatif, distribué gratuitement à tous les élèves.
Une diffusion de l'information au sein même des écoles d'autant plus importantes que la majorité de ces grossesses précoces (40%) interviennent après des rapports sexuels entre élèves. Des élèves souvent venus des campagnes pour poursuivre leur scolarité en milieu urbain et livrés à eux-mêmes. A noter que 4% des géniteurs sont des professeurs et 56% des personnes du secteur informel (vendeur de cartes téléphoniques, taxi...), selon l'Unfpa.
"Je suis affectée par ces grossesses précoces", confie la proviseur du Lycée Henri Konan Bédié au micro de RFI. Et de développer : "On voit des jeunes filles très intelligentes dont l'avenir semble tracé et que les grossesses viennent interrompre. Certaines ne reviennent plus à l'école".
Un an et demi après le lancement de la campagne, les premiers résultats sont déjà visibles puisque sur la période 2014-2015, 4 000 grossesses en milieu scolaire ont été enregistrées, soit environ 1 000 de moins que lors du comptage 2012-2013. Un pas vers l'émancipation des jeunes Ivoiriennes, mais aussi un impératif économique pour le gouvernement ivoirien qui, comme le rappelle RFI, souhaite réaliser sa transition démographique (avoir au sein de sa population une majorité d'actifs), afin de devenir un pays émergent à l'horizon 2020.