Guled (Omar Abdi) guette à proximité de l'hôpital, une pelle à la main. Une ambulance s'approche. Guled accourt. Il s'agit d'un blessé, pas d'un mort. Le fossoyeur n'aura pas de boulot aujourd'hui. Pourtant, il en a besoin de cet argent. Un besoin vital. Sa femme adorée, Nasra (Yasmin Warsame), est gravement malade. Et il faut l'opérer très rapidement. L'opération de Nasra coûte 5000 dollars, le salaire annuel d'un fossoyeur. Comment Guled va-t-il pouvoir réunir cette somme en deux semaines ? Une course contre la mort s'engage. Et Gulud est prêt à tout pour sauver la femme de sa vie. Gagner quelques sous en portant des valises, travailler sur un chantier, voire même retourner "au village" auprès de sa famille qu'il n'a pas vue depuis des années.
Le jeune réalisateur Khadar Ayderus Ahmed est né à Mogadiscio il y a 41 ans. S'il a fui la guerre civile en Somalie à 16 ans, réfugié en Finlande avec sa famille, son pays natal est toujours resté dans son coeur. Pour son premier long-métrage, le cinéaste a donc décidé de nous plonger dans le dédale de pierres, de poussière et de tôle de la banlieue pauvre de Djibouti. Et de nous raconter ce conte tout simple, d'une beauté à pleurer. Une histoire de vie, de mort et d'amour.
Au coeur de ce récit, le couple formé par Guled et Nasra. Elle est frondeuse et spontanée. Lui, calme et réfléchi. D'une scène de douche sensuelle à une joyeuse incruste dans un mariage, des petits gestes du quotidien au regard qui s'assombrit face à la maladie, c'est bien l'amour, le vrai, qui irradie et transcende tout ici. Ces deux-là ne possèdent pas grand-chose. Mais leur trésor, cette tendre intimité, est inestimable.
"Nous sommes habitués à regarder des histoires africaines à travers les lentilles des cinéastes occidentaux. Cela a toujours été difficile pour moi : cela parle systématiquement de la guerre ou de la traite des êtres humains, avec des images unidimensionnelles et stéréotypées. Je me disais : 'Où est l'amour ? Où sont les histoires avec lesquelles j'ai grandies, les histoires d'amour que j'ai vues dans ma propre famille ?' Je voulais montrer qu'il y a de l'amour dans cette partie du monde", confie le réalisateur.
En suivant la quête désespérée de Guled pour sauver Nasra, une colère monte et nous étreint : qui creuse la tombe de ces si belles personnes ? "En Afrique, beaucoup de gens meurent pour de toutes petites choses. La situation sanitaire en Afrique subsaharienne est démente, les gens n'ont pas suffisamment accès aux soins", dénonce le cinéaste. "C'est un héritage post-colonialiste : ces Africains ont tout eu, puis ils ont été abandonnés par les colonisateurs, sans système social. Une opération comme celle-ci serait facile à obtenir dans les pays occidentaux. Dans ce monde post-colonial, les occidentaux ont laissé les Africains sans outils pour survivre."
C'est là toute la finesse de Khadar Ayderus Ahmed : narrer ce drame subtilement politique sans manichéisme, ni misérabilisme. Seules les émotions affleurent pudiquement, mêlées à de longs silences habités. Sans artifices, il parvient à bâtir habilement un suspense implacable qui monte crescendo à mesure que la date-limite de l'opération approche. La photographie signée Arttu Peltomaa magnifie la mise-en-scène dépouillée, entre clairs-obscurs, tonalités minérales et ocres, ajoutant une dimension onirique à cette fable africaine poignante.
Premier film à représenter la Somalie aux Oscars, La femme du fossoyeur est un film précieux, un hymne à l'amour et à la dignité. Et révèle un nouveau talent à suivre de près.
La femme du fossoyeur
Un film de Khadar Ayderus Ahmed
Avec Omar Abdi, Yasmin Warsame, Kadar Adboul-Aziz...
Au cinéma le 27 avril 2022