En France, quelque 500 000 enfants sont précoces. Malgré leurs facilités, ils rencontrent souvent des difficultés à s'adapter au système scolaire classique et à "être comme les autres". Voici le point de départ du documentaire Le courage de grandir, réalisé par Marie Drucker et qui sera diffusé mardi 3 avril dans l'émission de documentaires Infrarouge, qu'elle présente chaque semaine depuis la rentrée.
Depuis qu'elle a choisi de se consacrer à l'art du documentaire, Marie Drucker n'a pas peur d'explorer ses sujets à fond ni de sortir des sentiers battus. En 2017, son film Détenues racontait la reconstruction de femmes incarcérées. Cette fois, la journaliste s'aventure loin de la prison pour se diriger vers les bancs de l'école. Elle nous présente des enfants aux capacités intellectuelles exceptionnelles pour leur jeune âge. En d'autres termes, des enfants précoces. Au début, Marie Drucker commence à se renseigner sur le sujet comme ça, par simple curiosité. Jusqu'à ce qu'elle réalise que l'idée qu'elle s'en faisait était loin de correspondre à la réalité du quotidien de ces enfants...
Le documentaire s'ouvre avec l'image d'un petit garçon en classe. Vêtu d'une cravate, très à l'aise face à la caméra, il explique qu'il est bon en tout et très fort en maths, et que sauter une classe grâce à une seule matière "c'est balèze". On s'attend donc à une succession de petits génies qui se livreront à des concours intellos et qui en mettront plein la vue aux adultes. Sauf que c'est tout l'inverse.
Dans son film, Marie Drucker nous propose une série de portraits d'enfants aux âges et profils variés. Tous ont un point commun : ils n'ont pas réussi à s'intégrer dans le système scolaire classique, mais s'épanouissent à leur manière et à leur rythme à l'École Georges Gusdorf (Paris, 15e), où ils sont scolarisés. Rencontre avec Marie Drucker.
Marie Drucker : J'entendais beaucoup parler d'enfants "surdoués" ou précoces" autour de moi. "Ah, untel est surdoué, ah tiens, ma fille aussi !" J'ai donc voulu m'amuser et creuser la question pour comprendre pourquoi c'était devenu un phénomène de mode. Moi-même j'avais cette vision un peu caricaturale et stigmatisante d'un enfant de 12 ans qui porte un noeud papillon et qui est déjà en classe de Terminale. Mais la réalité est bien sûr beaucoup plus complexe que cela. J'ai trouvé dommage qu'on s'arrête là et du coup j'ai voulu aller plus loin. Je pense aussi que ce sujet m'a touchée, parce que je ne garde pas un très bon souvenir de l'école.
Au bout de deux ans de travail, j'ai réalisé que ce travail était en fait une véritable catharsis pour moi. C'est pour ça que j'ai intitulé le film Le courage de grandir et non "plongée exotique dans l'univers des surdoués!" Le film ne se limite pas au thème des enfants précoces. Je voulais explorer des sujets connexes : comment on se construit quand on n'entre pas "dans le moule", quel est le rôle des parents, des enseignants pour aider ces enfants etc... En fait, je montre des portraits d'enfants, et il se trouve que ces enfants sont précoces.
M.D : Oui, et je pense même qu'elle représente un personnage secondaire à part entière. À la base c'est une amie qui m'a dirigé vers cette école quand je lui ai parlé de mon projet de documentaire. J'ai découvert l'une des rares écoles en France à offrir ce type de programme. Et finalement j'ai compris que je voulais tout tourner là-bas. Une unité de lieu que j'assume totalement. Comme le dit la directrice de l'établissement dans mon film, ce n'est pas une école miracle, mais une école qui offre une solution pour ces enfants. Et c'est déjà énorme. L'équipe pédagogique est formidable, dévouée, fidèle, empathique, patiente...
M.D : Oui, bien sûr, parce que ce sont avant tout des enfants. L'une d'entre elles, Héloïse, est d'ailleurs spontanément venue me trouver. Elle en avait marre que l'on raconte n'importe quoi sur les enfants précoces et a voulu faire entendre sa voix, en participant à mon documentaire. Il y a aussi Joséphine, qui doute beaucoup d'elle-même et qui revient de loin : elle incarne parfaitement "le courage de grandir". Mais au final, ils sont tous complémentaires. Après avoir vu le film, ils m'ont tous dit :"c'est incroyable, je me retrouve dans chacun des autres !"
M.D : Quand j'étais à l'école, personne ne parlait des enfants précoces. Pour ma part, je faisais partie des enfants doués mais qui ne travaillaient pas beaucoup. Je m'ennuyais, je fuyais la contrainte, moi non plus je n'entrais pas "dans le moule". Je ressemblais assez à Octave, le procrastinateur. J'avais un mal fou à me mettre au travail.
Dans ma carrière de journaliste, j'ai d'ailleurs très vite bifurqué de la presse écrite à la télévision. Car malgré mon grand intérêt pour la presse écrite, quand j'avais des papiers à préparer des semaines à l'avance, je m'y prenais toujours la veille au soir, ce qui n'était pas possible à la télé.
M.D : À vrai dire, je ne suis pas très à l'aise avec ce terme, car je ne me suis pas suffisamment penchée dessus. Ce qui est sûr, c'est qu'à aucun moment je ne souhaite opposer le système de l'école Georges Gusdorf à celui des écoles classiques. Je considère que l'Éducation nationale est capitale car elle prépare les enfants à la vie d'adulte, qui, il faut bien l'admettre, n'est pas du sucre !
M.D : Oui, je prépare actuellement une co-réalisation sur France 5, justement sur les enseignants de l'Éducation nationale. Je réfléchis également à la création d'un nouveau documentaire, mais c'est encore un peu tôt pour déterminer quel en sera le sujet. Tout ce que je sais, ce que ce sera en rapport avec les thèmes qui me passionnent : le courage, l'enfermement, le fait de se construire en tant que personne...
Le courage de grandir, Marie Drucker. Diffusion le mardi 3 avril, à 22h45, sur France 2 dans l'émission Infrarouge.