"Si vous pensiez que la musique classique était épargnée du harcèlement et des agressions sexuelles, écoutez Camille et Julie Berthollet", décoche le média Loopsider. A juste titre. Interrogées par le site, les deux soeurs musiciennes (violoncelliste et violoniste) ont décidé de balancer leurs "porcs". A travers un témoignage face-caméra, les artistes reviennent sur les nombreux attouchements et abus qu'elles ont pu vivre au sein d'une sphère musicale où règne encore l'omerta.
"Une des raisons pour lesquelles on parle maintenant, c'est parce qu'on a eu une expérience de plus et probablement de trop avec un chef d'orchestre qui s'est permis d'avoir des gestes totalement déplacés", explique Julie Berthollet. Avant de préciser lesquels : "Comme passer la main sur nous, ou renifler dans notre cou en nous disant : 'Ah, je savais pas que les rousses avaient cette odeur'". Des paroles démontrent la présence d'une masculinité toxique au sein du monde de la musique classique, une sphère qui semble régie par les rapports de pouvoir, de hiérarchie et de domination.
"Quand j'avais 14 ou 15 ans, j'avais reçu des remarques sur la taille de ma poitrine alors que le mec devait avoir peut-être 60 ans ! J'ai trouvé ça juste écoeurant !", poursuit Julie Berthollet d'une voix indignée. Ce que raconte la violoniste est édifiant : des histoires d'élèves mineures "qui ont dû coucher avec le prof", de professeurs dont la réputation de porcs faisait office de secret de Polichinelle ("on savait qu'on devait faire attention et pas aller en cours toute seule") mais aussi la banalisation "d'attouchements, d'actes tactiles totalement déplacés", lors des cours et des répétitions, des regards plus qu'insistants sur les décolletés des (jeunes) élèves et des remarques abondantes sur leurs tenues, leur physique, leur poitrine...
"Si on s'habille court il y aura une remarque, mais si on s'habille long aussi", déplore-t-elle. Et sa soeur Camille de corroborer. La violoncelliste dénonce tout un système où se côtoient pressions professionnelles, phénomène d'emprise, sexisme assumé et peur de "balancer" son harceleur. Autant dire que la notion de consentement y est totalement niée. "Il y a des jeunes filles qui ont peur de dire les choses par souci de freiner leur carrière. Quand on est adolescente et qu'on veut réaliser son rêve, c'est difficile !", déplore l'artiste, à propos de ce milieu "où il y a beaucoup de choses comme ça, mais c'est encore assez tabou".
Tabou, et pourtant si prégnant. Comme l'énonce effectivement Loopsider, plus d'une musicienne sur quatre a déjà été victime de harcèlement sexuel. D'où la nécessité de lancer un #MeToo de la sphère musicale française ? En France, les paroles se libèrent de plus en plus en ce sens, doucement mais sûrement. Sur la plateforme Paye ta note, les victimes d'abus et de sexisme ordinaire peuvent ainsi témoigner, dans l'anonymat le plus total. Tel que l'explique sa fondatrice Agathe Thorez au site de France Musique, cet "espace d'expression libre" permet, entre autres choses, de dénoncer cette objectification systématique de la musicienne par le regard masculin, qu'il s'agisse de celui d'un chef d'orchestre, d'un prof ou d'un spectateur.
"La scène transforme le rapport à la femme, on leur demande d'être sur-sexualisées, à la fois bonne chanteuse, bonne musicienne mais aussi l'objet de tous les fantasmes masculins dans la salle", raconte l'instigatrice de Paye ta note. Une cinglante définition du male gaze s'il en est. Et Agathe Thorez de conclure : "Sur n'importe quel programme de festivals où l'on fait venir une soliste, les femmes sont en décolleté, en robe, certaines dans des positions lascives. Aujourd'hui, les femmes ne se sentent pas à leur place et cherchent encore une légitimité qui n'est pas apportée par l'histoire de la musique savante occidentale, constituée d'hommes".
Face à cette hégémonie patriarcale, faire entendre la voix des musiciennes n'en devient que plus essentiel. Histoire, comme le souligne Julie Berthollet, d'en finir avec toutes ces "expériences de trop"...