"J'ai vu quelqu'un – qui me ressemblait – dans un magazine. J'avais de grosses lèvres rouges qui n'appartenaient pas à mon visage. J'avais des seins trois fois plus gros que leur taille normale. Mon ventre était incroyablement plat. Ma peau n'avait aucun défaut. Mais la réalité est tout autre. Je n'ai pas une bouche pareille, ma peau a des défauts et j'ai un peu de ventre. Cette image ne me représentait pas. J'ai réalisé qu'en grandissant, je me plongeais dans les magazines et je me comparais à des images dans ce genre – des images qui pour la plupart ne sont pas réelles".
Avec ces quelques mots prononcés au cours d'une interview en 2013, la jeune actrice Shailene Woodley tentait de briser un tabou pourtant bien en place à Hollywood : les célébrités et mannequins qui s'affichent sur papier glacé frôlent la perfection. Une perfection impossible à atteindre pour le commun des mortels. Une perfection impossible à atteindre tout court. Il n'y a qu'à voir le dernier fail des photos non retouchées de Beyoncé pour une marque de cosmétiques pour s'en rendre compte. Même la Queen B a des petits défauts, malgré ce qu'elle tente de nous faire croire sur son compte Instagram.
Mais alors, où commence l'illusion ? Elizabeth Moss, fondatrice de Rare Digital Art , une entreprise new yorkaise spécialisée dans la retouche photo, vient de livrer une réponse déstabilisante quoi que pas franchement étonnante. Via trois vidéos réalisées en time-lapse (ou accéléré), elle démontre que chaque top model, chaque star qui prend la pose, est retouché de la tête aux pieds.
La première vidéo résume 6 heures de retouches en 90 secondes, la deuxième 4 heures de travail en 90 secondes, et la dernière 1h30 en 90 secondes. A chaque fois, le travail effectué avec Photoshop va extrêmement loin. Bien évidemment, les petits défauts de peau sont effacés, mais on note aussi l'amincissement des doigts, le changement de couleur des yeux et de la peau, l'allongement des cils et des ongles... La troisième vidéo est la plus drastique puisque la structure osseuse du visage du mannequin est complètement altérée. Au final, la jeune femme ne se ressemble même plus, comme l'expliquait si justement Shailene Woodley.
Les retouches montrées dans ces vidéos ne sont finalement que la partie visible de l'iceberg. Comme l'a révélé Elizabeth Moss au site Peta Pixel , les corps des mannequins peuvent carrément être mélangés. Ainsi, on peut ainsi s'apercevoir que les pores du visage de la première jeune femme sont rajoutés sur la peau des mannequins apparaissant dans les vidéos 2 et 3. Une pratique aussi étrange que courante, comme le confiait un spécialiste de la retouche photo à Buzzfeed en 2012 : "Tous les professionnels le font. Ils coupent une tête et la collent sur le corps d'une autre. Je fais ça tout le temps. Par exemple, si après un photoshoot, on se rend compte que le corps du mannequin est bien mais que son regard est de travers, les directeurs artistiques peuvent nous demander de mettre une autre tête sur ce corps. On peut aussi nous demander de mettre le bras d'une personne sur le corps de quelqu'un d'autre. C'est très commun".
Une méthode peut-être commune, mais qui contribue plus que jamais à fausser l'image que les jeunes gens se font du corps féminin. Les standards de beauté actuels sont concrètement irréels et peuvent même s'avérer dangereux, comme l'ont démontré plusieurs études . Face à des corps toujours plus surnaturels et des visages toujours plus parfaits, filles et femmes en viennent à rejeter leur propre physique. Ainsi, 3 sur 4 adolescentes américaines avouent se sentir déprimées après avoir feuilleté un magazine féminin, tandis que 80% des petites américaines de moins de 10 ans ont déjà été soumises à un régime.
La France n'est pas en reste. Si les Françaises sont les plus minces d'Europe, une étude menée par l'Ined en 2013 démontre que nous avons aussi une grande tendance à chercher à perdre du poids. Six sur 10 femmes interrogées déclaraient ainsi vouloir maigrir. Enfin, notons que dans notre pays, 230 000 femmes sont touchées par l'anorexie. Si les magazines féminins ne peuvent être directement incriminés, il est évident que les critères de beauté mis en avant dans leurs pages peuvent déstabiliser et pousser certaines jeunes femmes à changer complètement leur comportement alimentaire.
Les mannequins photoshoppés ne disparaîtront pas de sitôt des affiches publicitaires et des magazines, mais la bonne nouvelle, c'est que les femmes sont de plus en plus nombreuses à se rebeller contre cet ordre établi de la perfection à tout prix. On peut les voir sur les réseaux sociaux, mettre K.O les diktats de la beauté et la dictature de la minceur à coup de hashtags audacieux comme #LoveYourLines (qui prône l'acceptation de ses vergetures) et #NoThighGap (qui pousse les femmes à exhiber leurs cuisses sans écarts). Du côté des marques aussi, le sursaut se fait sentir. De Dove et ses publicités inspirantes à la marque de lingerie Lane Bryant qui met en scène des égéries aux mensurations normales, le corps des femmes semble enfin se libérer de ses carcans. Pourvu que ça dure (longtemps, très longtemps si possible).