Elle a beau s'en défendre, Aloïse Sauvage est une artiste militante. Que cela soit à travers ses chansons ou ses choix d'actrice (120 battements par minute, H24), elle donne voix et corps à ses engagements. La preuve avec ses deux nouveaux singles joyeusement politiques, Focus et Crop Top, qui dézinguent le sexisme et les injonctions faites aux femmes.
Lorsque nous la rencontrons en ce début d'été, elle piaffe d'impatience car les festivals ne vont pas tarder. Aloïse Sauvage a hâte de retourner s'ébrouer sur scène. Et elle a beaucoup à donner. En pleine déconstruction, elle nous parle de "renaissance", d'"affirmation", de ces oppressions qu'elle n'arrivait pas à nommer jusqu'ici. Aujourd'hui, la chanteuse pluridisciplinaire se fait un devoir de l'ouvrir pour parler de ces luttes féministes et LGBTQIA+ qu'elle veut porter. Interview libre et cash.
Aloïse Sauvage : Oui, grave, cette chanson couvre plein de thématiques liées au consentement, aux féminicides, aux tenues " inappropriées". Effectivement, je trouve ça terriblement tragique de ne pas pouvoir d'habiller comme on veut. Non, un crop n'est pas "indécent", il faut le rappeler.
A.S. : On vit un sexisme tellement normalisé qu'on ne s'en rend même pas compte en tant que femme. J'ai mis du temps à déconstruire ça et à réaliser que la société était ultra-sexiste. Dès que tu es une femme qui s'affirme, dans ton discours ou ta posture- je l'ai beaucoup vécu dans la musique-, tu passes vite pour une reloue, une diva ou une hystérique.
Sur le côté vestimentaire, on m'a fait remarquer que je devrais m'habiller de manière "plus féminine". C'est tragique de constater qu'il y a souvent un amalgame entre la tenue vestimentaire et la sexualité.
A.S. : Oui. J'avais envie de faire une pochette pop acidulée, comme une référence aux années 2000 avec ce boxer qui dépasse du jean et ces abdos saillants. Il y a le crop top pour le côté "féminin" et les abdos qui peuvent référer au côté "masculin". J'adore l'idée que l'on puisse penser que c'est un mec sur la pochette alors que ce sont mes abdos ! Je trouvais ça drôle.
A.S. : Oui. Je considère que tout est politique. Je ne suis pas militante au sens "pur" du terme. J'ai des amis militants qui se lèvent chaque matin pour rendre visibles les luttes que nous vivons de manière intime au quotidien. Moi, je me sens moins légitime. Mais faire des chansons, c'est politique et s'habiller, c'est politique.
Donc oui, porter un costume et des chaussures plates à Cannes, c'était aussi politique. D'ailleurs, j'étais jurée à la Queer Palm en 2021 et je me suis fait recaler pendant quelques minutes : la personne de la sécurité estimait que ma tenue n'était pas assez féminine pour le tapis rouge. Alors que j'étais hyper stylée, en legging vinyle avec un haut un peu lose... On m'a finalement laissé passer parce que j'avais ce statut privilégié de jurée.
A.S. : J'aimerais vraiment que l'on soit toutes et tous égaux, qu'il n'y ait plus de discriminations, que cela soit au niveau du genre, racial, social, de l'orientation sexuelle... On se définit encore beaucoup trop en regard de l'autre et il y a toujours un dominant et un dominé. J'ai envie de croire que ce n'est pas une utopie, que c'est possible.
A.S. : Oui, je la voulais presque "pédagogique". On parle de plus en plus de consentement, notamment grâce à #MeToo. C'est important de le rappeler, car c'est une notion encore floue pour certaines personnes. Après toutes ces années de silence et d'oppression, on est obligées de reconfigurer les mentalités de façon plus abrupte. Un peu comme le Balance ton quoi d'Angèle, cette chanson peut avoir des vertus éducatives car elle s'adresse aussi aux hommes.
Je le dis dans le deuxième couplet : "Comme un frère, je te vois quand tu me respecte". Ce qu'on souhaite, c'est la paix et l'amour, pas la guerre et la haine. Mais on doit sortir les armes pour se faire entendre et il ne faut pas avoir peur de le faire. Plus on est nombreuses et nombreux à revendiquer des combats parfois encore trop minoritaires ou trop timidement incarnés, plus on atteindra la normalité, je l'espère.
A.S. : Oui, les colères sont justes quand elles sont au bon endroit. Dans l'album que je suis en train de préparer, il y a une écriture plus frontale. J'ai eu besoin de me réaffirmer à des endroits où j'ai parfois flanché, lors de périodes de doutes, d'immobilité. Je suis passée en mode "empowerment" à la fois dans les paroles mais aussi dans ma vie au quotidien.
A.S. : Oui, il y a une avancée dans la prise de conscience, dans la libération de la parole. Est-ce suffisant ? Non. Ce qui est dur, c'est que dès qu'il y a une avancée, il y a rapidement un recul hyper violent. Le "backlash" du #MeToo, c'est clairement en ce moment. On le voit bien avec ce recul du droit à l'avortement aux Etats-Unis.
A.S. : Je pense qu'être lesbienne demande une déconstruction évidente. J'avais des oeillères, des choses auxquelles je ne faisais pas attention. Et le fait d'être lesbienne m'a fait prendre conscience de ma place dans le monde. J'ai senti que j'avais un devoir de parler car j'étais visible en faisant de la chanson.
Je suis arrivée sur scène alors que je venais de découvrir mon homosexualité, je me suis déconstruite en même temps que le public découvrait mes chansons. J'ai beaucoup évolué ces dernières années. J'ai des ami·e·s, une soeur qui m'ont apporté énormément de lumière et de connaissances au fil des conversations. Et puis bien sûr, il y a des bouquins qui m'ont aidée comme l'indétrônable Virginie Despentes, Mona Cholet avec Sorcières et Beauté fatale ou encore Le génie lesbien d'Alice Coffin.
A.S. : Oui, ça me paraît essentiel. Je suis très heureuse qu'on soit de plus en plus d'artistes ouvertement queer sur le devant de la scène et à en parler. J'admire beaucoup la nouvelle génération, leur ouverture dès leur plus jeune âge. Elles et ils questionnent l'orientation sexuelle, l'identité de genre, leur fluidité.
Moi, j'ai mis du temps à comprendre celle que j'étais. Mais mes chansons ont visiblement aidé certaines personnes à faire leur coming out, même à 30 ans. C'est merveilleux et ça me donne beaucoup de force.
A.S. : Je trouve qu'il va plus loin musicalement. Il y a de l'éclectisme, entre pop et rap, des morceaux plus lyriques, plus affirmés et des morceaux aussi plus rapés. Pour moi, c'est comme un "deuxième premier album". J'ai eu le temps du recul. Il parle beaucoup de métamorphose, de renaissance, d'intime et de collectif. J'ai hâte de le partager car je le trouve très beau, j'en suis fière.
Aloïse Sauvage, singles Focus et Crop Top. Album prévu fin 2022.