Les Japonais appellent cela le giri chocolat, le "chocolat obligé". À chaque Saint-Valentin, les femmes se pressent devant les bureaux de leur patron et collègues masculins. Non pas pour recevoir de leur part des fleurs, mais plutôt pour leur offrir des chocolats qu'elles leur ont achetés pour afficher leur dévouement et leur gratitude. Une coutume sexiste et clairement dépassée, initiée en 1958 par le confiseur Mary Chocolate, et à laquelle le français Jérôme Chouchan est bien décidé à mettre un terme.
Mercredi 14 février, le PDG français du chocolatier de luxe Godiva s'est offert une pleine page de publicité dans Nikkei, l'un des grands quotidiens économiques japonais afin d'enjoindre les dirigeants d'entreprise à en finir avec le giri chocolat, qui oblige les femmes à prendre sur leurs deniers personnels pour satisfaire la gourmandise de leurs collègues masculins.
"La Saint-Valentin est censée être un jour où l'on avoue ses véritables sentiments. Ce n'est pas une journée au cours de laquelle on doit s'efforcer d'entretenir de bonnes relations au travail", écrit notamment Jérôme Chouchan, dont la marque Godiva est l'une des favorites des amateurs nippons de chocolats.
Car il serait naïf de réduire la prise de position du PDG français à un simple élan progressiste. Dans un pays comme le Japon, où la Saint-Valentin constitue l'une des occasions où les Japonaises et Japonais achètent le plus de chocolats, acheter un encart publicitaire dans un grand quotidien économique – majoritairement lu par des hommes – a aussi une dimension opportuniste.
Il n'y a qu'à se rendre sur la page Facebook de Godiva Japon pour s'en rendre compte : un visuel "Valentine's Day 2018" représentant trois jeunes femmes est mis en avant, avec comme accroche : "En offrir, c'est sympa". Ou comment dire en un slogan l'exact opposé de ce que Jérôme Chouchan disait dans Nikkei...
Là où la démarche du PDG de Godiva est salutaire, c'est qu'elle a occasionné un véritable débat dans le pays autour de la tradition des giri choco. Interrogée par Forbes, la spécialiste du marketing Tomoko Ishii trouve qu'il est nécessaire de remettre en question cette pratique qui, en plus d'être dépassée, peut aussi s'avérer néfaste à la carrière des femmes. "Il est coûteux d'acheter des chocolats pour des collègues et vous devez toujours vous inquiéter des signaux contradictoires, vous devez penser à combien dépenser car les chocolats ne peuvent pas être trop bon marché, ou cela peut être insultant."
De son côté, le consultant en relations publiques et grand connaisseur du marché nippon Daniel Fath, se montre plus critique envers la campagne menée par Godiva et dénonce à demi-mots un ingénieux coup de pub pour la marque. "Le débat sur le giri chocolat n'est pas nouveau, et Godiva Japon peut très bien soutenir le droit des femmes à défier la tradition du bureau. Les entreprises qui veulent avoir leur mot à dire dans les discussions qui façonnent le changement social font généralement preuve d'un engagement soutenu auprès des parties prenantes, sans quoi leurs actions peuvent être prises pour un stratagème marketing."
D'autres ont enfin rappelé à Jérôme Chouchan que si se sont les femmes qui offrent des chocolats aux hommes à la Saint-Valentin, les rôles s'inversent un mois plus tard. Chaque 14 mars est en effet célébré le "White Day" (le "jour blanc") au cours duquel se sont aux hommes d'offrir des cadeaux de couleur blanche et des chocolats blancs aux femmes.