La tradition justifie souvent la perpétration de stéréotypes que l'on devrait avoir dépassé depuis longtemps. C'est de cette façon que des femmes se retrouvent exclues de nombreux événements ou pratiques sportives. La fantasia, une tradition berbère qui regroupe tradition militaire, acrobaties à cheval et fusils chargés, ne fait pas exception à la règle. Mais depuis peu, la tendance semble s'inverser : les femmes mettent le pied à l'étrier, et n'ont pas l'air décidées à redescendre sur terre.
La fantasia est une tradition berbère qui remonte à des siècles. C'est un spectacle équestre simulant une charge militaire : les cavaliers galopent côte à côte en ligne, et exécutent des figures avant de tirer en l'air, avec des fusils à poudre noire. Plus qu'une parade militaire, c'est un véritable spectacle où l'on vient pour admirer les cheveux barbes parés d'harnachements massifs tout en dorures, et les tenues traditionnelles des 11 cavaliers qui enchaînent les figures de haute voltige. Le mot "fantasia" vient d'ailleurs du latin et signifie "divertissement, fantaisie"; dans la langue marocaine, il a même pris le sens d'"ostentation", "panache", et sert même à qualifier une personne audacieuse...ou un peu trop exhibitionniste !
La tradition martiale et le maniement des armes et des chevaux, atours masculins par excellence, avaient exclu les femmes de la fantasia. Mais bien décidées à se défaire des carcans qui les emprisonnent, des passionnées par cette discipline sont parvenues à s'imposer dans l'univers saturé de testostérone de la fantasia.
De plus en plus de femmes se mettent à pratiquer la fantasia, bousculant tous les us de ce divertissement extrêmement codifié puisqu'il reprend des traditions vieilles de plusieurs siècles. "De nos jours, les femmes pratiquent souvent la fantasia, cela les a poussées à s'organiser en formant leurs propres groupes", a expliqué Hanane Boulhimz au site Aujourd'hui Le Maroc ... Celle qu'on surnomme "la cavalière de l'Atlas" fut la première à ouvrir un groupe accueillant les femmes et les formant à cette discipline équestre. Il n'existe encore que 6 groupes de ce genre au Maroc (Mohammedia, Kénitra, Khémisset, Meknès, El Jadida et Benslimane), mais c'est déjà une belle avancée : à pas de loups, les femmes s'emparent de la fantasia et parviennent à faire évoluer des ancrages culturels difficilement ébranlables. "Quand j'étais enfant, je voyais mes arrière-grands-parents pratiquer la fantasia. Cela m'a permis de monter à cheval depuis un bas âge. Et parfois, je participais à des manifestations aux côtés des hommes. J'étais la première femme à pratiquer la fantasia, et j'ai fini par décider de créer un groupe de femmes en 2005", a-t-elle précisé. Interrogée sur ce qu'elle ressent lorsqu'elle fait la tbourida (la représentation classique de la fantasia, conclue par les tirs), Hanane Boulhimz a déclaré : "En tant que femme, je me sens fière quand je monte à cheval. Vraiment, c'est un sentiment indéfinissable".
C'est aussi de battre les hommes à leur propre jeu qui rend ces femmes fières. Alors qu'ils s'insurgent devant "l'insulte" que représente cette entorse à la tradition, les femmes s'entêtent à les défier. "Les hommes n'acceptent pas l'idée que la fille monte à cheval. Mais les femmes insistent toujours pour relever le défi et prouver leurs compétences et concurrencer les hommes", confie à Aujourd'hui Le Maroc Mounia Taârabet, chef d'un groupe de fantasia dans la région de Khémisset. Dans un pays où beaucoup d'interdits sociétaux et religieux pèsent encore sur les femmes, la fantasia est devenue pour elles un moyen de revendication, une belle manière de prouver qu'elles valent autant que les hommes.
C'est d'ailleurs ce qui a poussé Amal Ahmari, une femme berbère , vers la pratique de la fantasia. "Je n'avais jamais vu de femmes participer à une fantasia. C'était un challenge", explique-t-elle au New York Times. "Et j'adore les challenges", admet-elle dans un large sourire. Elle a pris la tête d'un groupe d'amazones qui défient la tradition en galopant à bride abattue. Si les fantasias ont souvent lieu durant des fêtes, à la fin des mariages ou pour célébrer une naissance par exemple, ce sont avant tout des compétitions. Deux équipes s'affrontent et sont départagées par un jury en fonction de la synchronisation des coups de feu et de la coordination du groupe. Les coups de feu sont tirés à balles réelles, et le moindre faux geste peut occasionner une blessure mortelle : il n'y a pas de place pour l'amateurisme. Avant chaque compétition, les femmes du groupe d'Ahmari s'embrassent "au cas où c'est notre dernier jour", et les mères mettent de la terre sur les bottes des cavalières, pour les protéger.
Mais elles ne semblent pas avoir besoin de chance : elles furent le premier groupe féminin à gagner une compétition contre des hommes. Et ces intrépides cavalières n'ont cessé de confirmer cette victoire, en écrasant à plusieurs reprises les équipes masculines. Un point négatif subsiste cependant : malgré les victoires d'Ahmari, les femmes ne peuvent toujours pas participer au championnat national qui se déroule chaque année au Maroc . Mais on n'a pas fini d'entendre parler des amazones des fantasias, qui piétinent allègrement les traditions et les stéréotypes qui les entravaient.