Impossible de passer à côté. D'une publication Twitter virale à un compte Instagram spécialisé, vous n'avez pu échapper à cette fâcheuse tendance des internets - et notamment des férus de news people : s'attarder sur l'évolution physique des célébrités en proposant des comparatifs "Avant/Après". L'idée ? Dévoiler le poids des années sur les plus iconiques visages ou, selon les publications, l'apparence des stars sans filtres Instagram.
Une mode anodine, direz-vous ? Pas vraiment. Sous couvert de retour à la "réalité", la manie du "avant/après" ouvre grand les portes du sexisme ordinaire. Et fait des remarques les plus aléatoires sur le physique des célébrités - féminines, majoritairement - un critère d'argumentation fondamental. Bref, ces comparatifs en série démontrent à quel point le body shaming est toujours autant banalisé sur les réseaux, même en 2021.
Comme le déplore Refinery29, ces publis un brin "clickbait" incitent non seulement à noter les apparences, mais aussi à juger systématiquement le recours à la chirurgie esthétique. On est loin de la bienveillance sororale.
Pour s'en convaincre, il suffit de jeter un oeil à quelques beaux spécimens du genre. Par exemple ? Celeb Face, Celeb Before and After, Exposing Celeb Surgery ... Les milliers de followers qui suivent ces comptes Instagram ne loupent rien des derniers potins, entre rumeurs d'interventions chirurgicales diverses et remarques décomplexées sur les modifications physiques de leurs célébrités préférées. De vrais tabloïds 2.0.
Au gré de ces posts massivement likés, il est effectivement toujours question de "body transformation" (transformation du corps). Sur un ton insouciant, l'on se demande si Taylor Swift a eu recours à des implants mammaires et l'on raille en filigrane les cernes d'Angelina Jolie, entre deux questions inavouées sur le naturel des lèvres de Kendall Jenner - très active sur les réseaux, et donc chère aux yeux des instigateurs de ces comptes. A l'occasion, on y pointe du doigt Paris Hilton et ses injections de Botox.
"Les gens pensent que la sphère du web a radicalement bouleversé les médias, mais les formats typiques des tabloïds sont vraiment reproduits en ligne", déplore le professeur d'histoire - et expert de la presse people - Adrian Bingham à Refinery29. Pour le spécialiste des médias, rien ne différencie la presse poubelle alimentée par les paparazzis de ces portfolios de photographies au sein desquels la bienveillance est une denrée rare.
Le body shaming se déploie dès lors à plusieurs niveaux. Fustiger l'usage de filtres ou de Photoshop, les opérations de chirurgie esthétique (tout le temps), l'emploi trop explicite de make-up... Sous prétexte d'épingler la prétendue superficialité des stars, toutes les occasions sont bonnes pour juger un visage, une bouche, une poitrine, des fesses - celles de Kim Kardashian font évidemment office de leitmotiv, réitérées comme une obsession.
Mais si ces comptes sont-ils si honteux, pourquoi fonctionnent-ils à ce point ?
Pour éclaircir ce mystère, on pourrait poser sur le tapis les sempiternels arguments inhérents au succès de la presse people : soif de scoops, voyeurisme, besoin d'épier l'air de rien les moindres faits et gestes des vedettes étalées sur papier glacé. Or, s'attarder sur un compte Instagram comme 'Celeb Before and After' offre de nouveaux éléments de réponse. Entre deux piques plus ou moins assumées sur la famille Kardashian, la page abondamment suivie brandit quelques messages timidement body et skin positive.
Quelques bravos sont par exemple décernés aux célébrités qui osent montrer leur acné. L'espace d'une galerie-photos, on insiste sur l'importance de dévoiler la "vraie peau" des stars, "sans photoshop, sans retouche". En somme, de valoriser une beauté "au naturel", et qu'importent les diktats qui inondent tapis rouges et réseaux sociaux. Intention qu'avance (en majuscules, s'il vous plaît) la page de Celeb Face dès sa bio : "Bienvenue dans la réalité". En insistant sur le cheminement de leur évolution physique, ces comptes semblent ainsi suggérer le poids des pressions sociales et autres injonctions à la féminité qui encombrent la vie de ces célébrités mondiales.
Le gimmick de "l'avant/après" version Closer Magazine serait-il donc plus libérateur qu'on ne pourrait le croire ? C'est tout du moins ce dont est persuadée Sarah, jeune fan anonyme de ces contenus digitaux. Du côté de Refinery29, elle explique effectivement que l'un des grands buts de ces publications "est de faire en sorte que les femmes se sentent moins complexées à propos de leur visage ou de leur physique".
Physiques "normaux" et "naturels" - si tant est que ces termes aient un sens - que ces pages porteraient donc aux nues. Et pourquoi pas ?
On vous l'accorde cependant, ce sous-texte est bien timide. On pourrait même parler de "feminism washing", ce féminisme opportuniste qui n'a de féminisme que le nom. D'autant plus que les mosaïques mises en avant par ces contenus viraux détonnent plus par leur fétichisme malsain. Peut-être serait-il temps de les virer de nos favoris une bonne fois pour toutes ? Et de se poser - enfin - les bonnes questions, celles qui comptent vraiment.
C'est par exemple ce que nous incite à faire le média en ligne Bustle. Sa proposition ? Arrêter de juger les stars quand celles-ci ont recours à la chirurgie esthétique. Un bon début. "Cela ne vous regarde pas. Votre opinion négative sur leurs choix n'a qu'un seul avantage, celui de vous faire sentir mieux sur le moment. Pour le dire plus franchement : arrêtez de penser que c'est à vous de dicter ce que quelqu'un d'autre fait de son corps", décoche le site, qui considère cette pratique - si banalisée - comme l'inverse-même des préceptes féministes.
De quoi brusquer les milliers de followers du compte "Exposing Celeb Surgery", généreux en focus impudiques. Et, peut-être, éveiller quelques mentalités ? Un espoir que l'on chérit précieusement en ce début d'année.