#TimeWarpScan. Ou filtre de la "distorsion temporelle", pour les adeptes de la langue de Molière. C'est ainsi que s'intitule un nouveau joujou qui fait fureur auprès de la jeune audience du réseau social TikTok, comme en témoignent les milliers de publications ainsi taguées qui inondent le réseau social tendance. OK, mais c'est quoi au juste ?
Et bien un filtre - comme sur Snapchat oui - qui permet de déformer un selfie. Lorsqu'on l'active, une ligne bleue glisse sur l'écran, horizontalement ou verticalement, fige le plan capté et le "distord" selon les désirs des utilisatrices et utilisateurs. On peut notamment s'en servir pour déformer les visages et autres parties du corps, les grossir ou les amaigrir à l'envi. Une fantaisie qui semble anodine mais n'est pas dépourvue de sens.
Car ces rigolades témoignent d'une certaine vision du monde au fond. Celle d'une société faite "de fesses plus grosses et de ventres plus plats", comme le décrit le média Hello Giggles. Derrière le filtre inoffensif, d'aucuns voient là une porte ouverte vers le body shaming le plus éhonté.
Le body shaming, c'est l'ensemble de remarques et de discriminations fondées sur nos différences physiques, et notamment sur le poids - on parlera dès lors plus volontiers de "grossophobie" ou "fat shaming". Un phénomène si banalisé qu'il s'envisage volontiers à travers les amusements de ces "TikTokers" qui font des profils grossis ou amaigris un simple gag de dessin animé. Comme si le corps - ses normes, son évolution - était encore un tabou, ne pouvant se percevoir autrement que par les exagérations, les déformations et les filtres. Bonnes à être "améliorées" ou "empirées", les formes et les courbes demeurent forcément sources de complexes tenaces. Même en 2020, oui.
Pas grand-chose de bienveillant là-dedans donc. D'autant plus qu'une formulation couramment employée pour illustrer l'usage du filtre est "comment je me vois / comment mes amis me voient" en mode "avant/après".
Une critique sociale bienvenue ? Pas vraiment. "Non seulement ces images transforment la graisse en quelque chose de honteux et d'anormal, mais elles excluent et décrédibilisent le regard que l'internaute se porte sur lui-même en privilégiant le regard des autres", tacle le média, qui voit également là un détournement du trouble de la dysmorphie corporelle : une préoccupation disproportionnée vouée aux "défauts" physiques.
Irresponsable, ce filtre ? Peut-être. Toujours est-il que ce grand mix de futilité et de body shaming inavoué nous rappelle la grande tendance "comique" aperçue sur les réseaux sociaux ces derniers mois : les sempiternelles (mêmes) blagues sur la prise de poids durant le confinement. Il est peut-être temps de passer à autre chose ?