"Nous dénonçons la banalisation et l'apologie de l'inceste et de la pédocriminalité organisée par le dessinateur de BD Bastien Vivès à travers ses ouvrages et ses propos dangereux". Voilà ce que met en avant une pétition plaidant pour la déprogrammation du dessinateur et auteur de bandes dessinées Bastien Vivès du célèbre festival d'Angoulême. Objet d'une exposition au sein du festival, "Dans les yeux de Bastien Vivès", l'artiste est notamment connu pour des oeuvres comme la série des Lastman ou Le chemisier.
Mais c'est une autre de ses bandes dessinées qui fait polémique : Petit Paul, sorti chez Glénat en 2018, dont le protagoniste est un enfant de dix ans, et que Libération décrit comme une "BD porno-bouffonne mettant en scène les tabous et situations sexuelles les plus tordues de manière outrancière". Les éditions Glénat avaient considéré lors de sa sortie Petit Paul comme "une oeuvre obscène et provocatrice, une caricature au dessin volontairement grotesque et outrancier dans ses proportions, d'une nature totalement irréaliste".
Une "outrance" qui ne passe pas pour tout le monde. Pour preuve, la pétition lancée par Arnaud Gallais, cofondateur du collectif Prévenir et Protéger et du mouvement #BeBraveFrance, a déjà recueilli plus de 34 000 signatures exigeant cette déprogrammation festivalière. Dans ce texte qui fait beaucoup réagir, Arnaud Gallais épingle également des propos tenus par l'auteur au cours de différentes interviews.
Exemple ? "Moi déjà, l'inceste ça m'excite à mort. Pas celui de la vraie vie, mais celui raconté, je trouve ça génial. Tous ces trucs-là font des histoires incroyables. Quand tu transgresses, quand tu fais quelque chose que t'as pas le droit de faire, c'est agréable à lire".
Autres propos de Vivès rapportés par la pétition : "Un gamin, quand tu lui montres un bouquin et il y a la scène de cul, il reste dessus et c'est normal. Au moins, les gamins même s'ils comprennent pas, ils apprécieront les scènes de cul. Ils seront contents, ils auront vu une fellation". Des déclarations qui, pour Arnaud Gallais, vont dans le sens contraire de "la protection de l'enfance", qui "devrait être une priorité".
Cette situation suscite cependant de grands débats au sein du milieu de la bande dessinée, dans lequel Bastien Vivès est connu pour ses propos "provocs". En outre, sa propension à osciller d'un style réaliste à quelque chose de plus absurde questionne ces accusations, selon le codirecteur artistique du Festival international de bande dessinée d'Angoulême Fausto Fasulo. Auprès de Libération, celui-ci défend le caractère "grotesque, rabelaisien" d'une bande dessinée comme Petit Paul, dimension qui ne peut être confondue "avec une quelconque forme de banalisation de crimes sexuels ou d'incitation".
"Mais de quoi parle-t-on exactement ? A quel endroit fait-il une quelconque apologie ? Est-il désormais impossible de représenter les tabous ? Il y a une confusion navrante entre ce que pense un personnage, un narrateur et un auteur... J'ai l'impression qu'on revit le procès intenté contre Flaubert pour Madame Bovary", se défend également auprès de Libé le directeur éditorial de Casterman, Benoît Mouchart.
A l'inverse, certaines voix du milieu dénoncent l'organisation de cette exposition. "Dans le contexte de #MeToo, alors que le monde de la BD a déjà du mal à faire sa propre remise en question, quel message cette expo donne-t-elle de notre milieu ?", se questionne ainsi l'auteur de bandes dessinées Jérôme Dubois. A l'unisson, la dessinatrice Emma a partagé sur ses réseaux sociaux la pétition exigeant sa déprogrammation.
Au-delà de la BD, des artistes engagés dans la lutte contre la pédocriminalité et l'inceste se sont exprimés. C'est le cas de l'actrice et réalisatrice féministe Andréa Bescond, qui s'indigne sur Instagram : "Tu es le Festival de bande dessinée d'Angoulême. Tu consacres une exposition à Bastien Vivès qui a créé l'ouvrage 'Petit Paul', qui fait l'apologie de l'inceste, de la pédocriminalité, de la pédopornographie. Il y a des milliers d'autrices et d'auteurs magnifiques, mais toi, tu choisis Bastien Vivès. C'est de la culture du viol", peut-on lire dans son post.
"C'est tellement, mais tellement la honte et ce type d'événements est tellement, mais tellement français ! Le dégoût. Merci à celles et ceux qui dénoncent", conclut l'artiste militante.
De son côté, Bastien Vivès se défend auprès de Libération : "On peut tout dessiner, à partir du moment où le contexte de réception est soigneusement travaillé. Là, des gens isolent des morceaux de bandes dessinées ou des extraits d'interviews pour prouver que je suis pédophile, et ça fait gonfler leur communauté sur les réseaux sociaux. Je suis dégoûté mais aussi effrayé que certains dessinateurs entretiennent publiquement l'ambiguïté entre mes dessins et mes actes réels".