Ces dernières années, l'avènement des réseaux sociaux et la révolution #MeToo ont ouvert la voie à de nombreuses initiatives féministes. De nombreuses thématiques ont été réinterrogées, y compris (et surtout) celles de la sphère privée. Les femmes ne sont plus des "corps-objets", mais bien des sujets bien décidés à exprimer leur propres désirs, comme l'explique Camille Froidevaux-Metterie, autrice de Un corps à soi, auprès d'Arte. "Ce dont on s'est rendu compte de manière vraiment assez brutale, avec #MeToo, c'est que le corps des femmes était resté un corps à disposition", explique-t-elle.
Une véritable révolution de l'intime s'est donc opérée, permise aussi par l'émergence de nombreux comptes militants. Des contenus féministes et pédagogiques, agrémentés d'images qui manquaient cruellement jusqu'à présent.
On a alors vu apparaître des corps de toutes les formes, des cicatrices, des poils et des vergetures : le mouvement body positive était né. Un mouvement décomplexant, salutaire, et bien parti pour durer. Représenter les femmes dans leur pluralité, voilà le crédo.
Mais l'ultime tabou, à savoir celui du désir, du plaisir et du sexe féminin, a-t-il été levé ? Il semblerait qu'il reste encore du chemin à faire, et notamment pour vulgariser... l'appareil génital des femmes. Tout simplement. Preuve en est : en France, le clitoris n'a fait son apparition dans un manuel scolaire de SVT qu'en 2017.
Si les femmes ne connaissent pas leurs organes génitaux et leur fonctionnement, comment pourraient-elles en jouir pleinement ? Concernant le plaisir féminin, là aussi, il y a encore du boulot. Ainsi, 35% des Françaises se disaient insatisfaites de leur vie sexuelle, selon l'Ifop, en 2021. Ainsi, il existe un véritable "fossé orgasmique" défavorable aux femmes, qui connaissent mal leur corps. Cécile Gasnault, fondatrice du cours d'éducation sexuelle Vulva Talk, estime auprès de Cosmopolitan UK que "l'approche phallocentrique du sexe qui place la pénétration au centre efface la vulve de la carte du plaisir. Mais comme 70 % des propriétaires de vulve ont besoin d'une stimulation externe pour atteindre l'orgasme, cette représentation écarte le plaisir pour les personnes au corps féminin."
Enfin, les injonctions et les complexes semblent poursuivre les femmes jusque dans leur culotte. Ainsi, selon la Société internationale de chirurgie plastique esthétique, le nombre de labiaplasties (chirurgie qui consiste à remodeler les petites lèvres) pratiquées dans le monde en 2019 s'élève à 164 667, soit une augmentation de 73,3% depuis 2015. Les patientes sont souvent très jeunes, influencées par les corps standardisés de l'industrie pornographique et par les tendances vestimentaires qui mettent à l'honneur des vêtements ultra-moulants- tout plutôt que de se retrouver avec un "camel toe", littéralement un "orteil de chameau", qui désigne la forme de la vulve qui peut apparaître sous des vêtements collants.
Cette standardisation est même devenue un nouveau marché pour les marques, se mettant à commercialiser toutes sortes de produits supposés "embellir" la vulve (qui n'avait rien demandé). Ainsi la candidate de la télé-réalité Maeva Ghennam était allée jusqu'à faire la promotion d'interventions esthétiques de la vulve. "C'est trop bien. Là, c'est comme si j'avais 12 ans", avait-elle déclaré dans une vidéo tournée dans le cabinet de son gynécologue. Une séquence affligeante qui en dit long sur les diktats qui pèsent encore sur le corps des femmes, jusqu'à l'apparence de leur vulve.
Si le body positive est libérateur, le "vulva positivity movement" est donc essentiel. Certain·e·s l'ont bien compris. On a ainsi vu fleurir plusieurs initiatives à travers le monde, qui visent à banaliser et à normaliser toutes les vulves.
L'artiste Lydia Reeves par exemple est spécialisée dans le moulage de vulves, entre autres partie du corps. Elle en a même fait un livre de photographies, My Vulva and I, dans lequel elle explore les relations de différentes personnes avec leur intimité, et compte plus de 60 000 adeptes sur son compte Instagram, où l'on retrouve ses oeuvres "vulvaires", encourageant à l'acceptation du corps. Car comme elle se plait à le rappeler : "Vous êtes unique".
En 2019, le Vagina Museum a ainsi ouvert ses portes à Londres. "J'ai découvert qu'il y avait un musée du pénis et pas d'équivalent pour le vagin donc je l'ai créé", avait alors expliqué Florence Schechter, la vulgarisatrice scientifique autour du projet. Preuve que le sexe féminin dérange encore, le Vagina Museum avait fait l'objet de nombreuses tentatives de censure et avait même temporairement fermé ses portes.
Une difficulté à laquelle peuvent se heurter certaines influenceuses engagées, qui ont décidé de s'emparer de ce sujet. Lorsque l'on voit la censure dont font l'objet les tétons féminins sur les réseaux sociaux, notamment Instagram, on se demande comment parler de leur vulve aux femmes sur ces mêmes plateformes...
Pourtant certaines utilisatrices y parviennent sur TikTok, à l'image de @gabygabss (suivie par plus de 588 000 personnes) ou de @selfacceptancewithjess (130 000 fans) qui répondent aux questions des internautes, les conseillent et arrivent même à tourner des vidéos humoristiques sur le sujet.
Et pour contourner la censure, la représentation des vulves passe aussi par l'art sur Instagram. Ainsi, le compte @vulve_decomplexee, tenu par une sexologue, lui permet d'exposer plusieurs de ses moulages, qui mettent en valeur la diversité des vulves.
L'éducation sur ces sujets passe aussi par la découverte de soi-même, ou le "vulva mapping". À ce titre, les influenceuses sexo incitent les personnes possédant des vulves à davantage s'observer elles-mêmes, pour mieux apprivoiser leur corps, et des ateliers d'auto-observation ont vu le jour.
Oui, l'ère de la vulve ne fait que commencer et c'est tant mieux.