L'étincelle viendra d'abord du cinéma. Si "Me Too" était à la base une campagne lancée dès 2007 par l'activiste afro-américaine Tarana Burke pour dénoncer les violences sexuelles, ces deux mots vont connaître une renaissance en octobre 2017. Le 5 octobre, le New York Times et le New Yorker publient conjointement deux enquêtes dont le retentissement deviendra planétaire : une douzaine de femmes accusent l'un des producteurs les plus puissants d'Hollywood, Harvey Weinstein, de viol, de harcèlement sexuel et d'agression sexuelle.
Dans la foulée, les hashtags #BalanceTonPorc (tweeté pour la première fois par la journaliste française Sandra Muller le 13 octobre 2017) et #MeToo (réhabilité par l'actrice Alyssa Milano le 15 octobre 2017) émergent sur les réseaux sociaux. C'est un véritable raz-de-marée de témoignages de célébrités comme d'anonymes qui déferle alors. Les femmes parlent, certaines pour la première fois. Et elles ont enfin l'espace et les moyens de le faire.
Aujourd'hui, cinq ans après, le hashtag aura permis non pas la libération de la parole, mais des paroles. Voici quelques moments-clés de cette révolution féministe.
Sa parole a été capitale (et trop rare) : le 3 novembre 2019, l'actrice Adèle Haenel accusait le réalisateur Christophe Ruggia d'attouchements et de harcèlement sexuel alors qu'elle était âgée entre 12 et 15 ans. Assistait-on enfin à un #MeToo dans le cinéma français ?
Le 28 février 2020 douchait tous nos espoirs. Alors que Roman Polanski, accusé de viols et d'agressions sexuelles par onze femmes, avait été nommé pas moins de 12 fois aux César pour son film J'accuse, il recevait le prix de la meilleure réalisation. Outrée, Adèle Haenel quittait la salle pour protester contre cette récompense, après avoir déclaré quelques jours plus tôt au New York Times que donner un César à Polanski serait "cracher au visage de toutes les victimes".
Dans la foulée, Virginie Despentes signe le 1er mars l'implacable tribune Désormais, on se lève et on se barre dans Libération. L'instant est abrasif.
Dans le domaine du sport, c'est la patineuse artistique Sarah Abitbol qui va permettre aux victimes de violences d'oser témoigner. En , L'Obs publie un entretien avec la sportive, qui publie Un si long silence. Elle accuse son entraîneur de viol, d'attouchements et de harcèlement sexuel alors qu'elle était âgée de 15 ans.
Les journalistes sportives se saisissent elles aussi de la question. En mars 2021, Je ne suis pas une salope, je suis journaliste, un documentaire réalisé par la journaliste Marie Portolano, est diffusé sur Canal+. Il met en cause Pierre Ménès (entre autres), accusé de harcèlement sexuel. La sortie de ce documentaire pousse de nombreuses professionnelles à dénoncer un milieu machiste et sexiste.
L'année 2021 est particulièrement riche en révélations et de nombreux domaines sont réinterrogés à l'aune de la révolution #MeToo.
Dès le 7 janvier, l'autrice Camille Kouchner publie La familia grande dans lequel elle raconte l'inceste dont son frère jumeau aurait été victime, accusant le politologue Olivier Duhamel. Cet ouvrage participe à lever le voile de la pudeur sur cet ultime tabou, qui empêchait tant de victimes de s'exprimer.
Le #MeTooInceste est né et il continue à délier les langues. En septembre 2022 par exemple, France 3 consacrait une soirée spéciale au sujet, dans lequel la comédienne Corinne Masiero témoigne.
Le 21 janvier, c'est le milieu LGBT qui libère sa parole autour du hashtag #MeTooGay. C'est un récit en particulier qui en entraîne des milliers d'autres : un jeune homme accuse le conseiller de Paris Maxime Cochard et son conjoint, tous deux cadre du PCF, de viol et agression sexuelle. L'étudiant qui a dénoncé les deux hommes politiques finira par se pendre dans sa chambre universitaire de Nanterre.
Le #MeTooGay aura participé à mettre en lumière les violences, souvent banalisées, dont sont victimes les personnes issues de la communauté LGBT. Un hashtag qui a encore une portée aujourd'hui. En septembre 2022, le chanteur Bilal Hassani racontait avoir lui aussi été victime de viol.
Un autre hashtag va émerger du militantisme : #DoublePeine se fait le relais en septembre 2021 des mauvais accueils reçus par les victimes de violences sexuelles au sein des commissariats. A l'origine de ce mot-clé, Anna Toumazoff, militante féministe déjà à l'origine de #UberCestOver qui dénonce les abus des chauffeurs de VTC et #SciencesPorcs qui porte une vague de dénonciations de violences sexuelles dans les IEP.
Déjà traumatisées par les agressions qu'elles ont subies, et ayant trouvé le courage de déposer une main courante ou de porter plainte, les femmes se heurtent à l'incompréhension, l'indifférence ou les remarques déplacées ("Comment étiez-vous habillée ?", "Pourquoi étiez-vous seule à cette heure ?") des forces de police chargées de les auditionner.
En octobre 2021, les langues se délient dans le milieu théâtral. L'appel à témoignages sur Twitter de la blogueuse Marie Coquille-Chambel, qui avait accusé un acteur de la Comédie française de viol, fait naître le hashtag #MeTooThéâtre. Une tribune publiée par Libération, signée par 1450 personnes, dont Adèle Haenel ou Julie Gayet, demande une enquête nationale dans le milieu et la création d'une charte déontologique dans les écoles d'arts vivants.
En novembre 2021, de nouveaux témoignages émergent, notamment sous l'impulsion de la publication d'une tribune publiée dans Le Monde, signée par de nombreuses responsables politiques (Danièle Obono, Alice Coffin...), qui appellent à un #MeToo de la politique.
Ainsi, pour les femmes politiques, il faut "écarter les auteurs de violences sexuelles et sexistes" de la vie politique. Les scandales qui ont éclaboussé différents partis politiques (affaires Baupin, DSK, Hulot, Darmanin, Abad...) et les affaires en cours (Coquerel, Quatennens) montrent la prégnance de violences et du sexisme dans ce milieu et la nécessité de prendre des mesures.
Du côté des médias, l'affaire PPDA a créé un coup de tonnerre. A travers leurs accusations de harcèlement, agressions sexuelles et viols contre l'ancien journaliste vedette de TF1 Patrick Poivre d'Arvor, les victimes ont dénoncé un système de prédation et les comportements sexistes et violents auxquels elles ont été ou sont confrontées dans les rédactions. Des témoignages qui favorisent l'éclosion d'un #MeTooMédias.
La journaliste Hélène Devynck, qui accuse PPDA de viol, a ainsi publié un livre, Impunité, le 23 septembre dernier, dans lequel elle analyse les mécanismes de libération de la parole et remet en question le système judiciaire-son dossier a été classé sans suite, les faits étant prescrits.
Depuis 2017, #MeToo aura donc eu le mérite de délier les langues pour que la honte change de camp. Cependant, les femmes se heurtent encore aux institutions politiques, juridiques, policières et économiques où les choses semblent avancer trop lentement. Certes, les victimes semblent aujourd'hui davantage entendues et le féminisme n'est plus un vilain mot. Mais le chemin reste encore long pour une réelle prise de conscience. Ainsi, forcer son conjoint à avoir des rapports sexuels "n'est pas un viol" pour 1 Français sur 5. Ou 42% des Français pensent qu'une victime de viol peut l'avoir "bien cherché". Rendez-vous dans cinq ans ?