#UberCestOver. Comprendre : Uber, c'est terminé. Voilà un hashtag qui sonne comme un gros ras-le-bol. Celui de centaines de femmes qui en ont marre de ne pas être écoutées. Et c'est sur le compte Instagram Memes Pour Cool Kids Feministes, suivi par plus de 34 000 internautes, que cela se passe. Instigatrice de la page, la militante Anne Toumazoff a lancé ce mot-clé abondamment relayé sur les réseaux sociaux après avoir reçu l'édifiant témoignage de Noémie.
Il y a deux ans de cela, Noémie a été agressée par un chauffeur Uber lors d'un trajet tout ce qu'il y a de plus classique. Deux ans plus tard, elle voit passer le tweet d'une autre jeune femme. Les faits sont identiques : trajet Uber, agression... Et là, l'horreur : il s'agit du même chauffeur.
Il y a deux ans pourtant, Noémie a fait part de son agression auprès de la fameuse entreprise. L'application de VTC permet effectivement de signaler un comportement "déplacé ou dangereux". Les responsables de communication d'Uber lui ont assuré que le "nécessaire" avait été fait. Comment expliquer alors qu'un agresseur récidiviste soit encore en circulation deux ans plus tard ? Hélas, ce n'est là que l'une des facettes du "fiasco" Uber aujourd'hui révélé par Anne Toumazoff dans ses stories Instagram, où les expériences les plus éprouvantes s'énoncent. Et on en compte des centaines. Au fil des trajets Uber, loin des simples "dérapages", s'impose une constance : la banalisation des attitudes toxiques voire agressives, et l'impunité de leurs responsables.
"L'ampleur de la chose est énorme". Anne Toumazoff n'en croit pas ses yeux. Après avoir lancé son appel à témoins, elle a vu sa messagerie déborder - plus de 600 messages privés en une poignée d'heures. Que racontent ces messages privés sur le comportement des chauffeurs ? Des situations allant du "non-opportun" au carrément indigne.
"Les centaines de témoignages que je reçois vont des cas de comportements ou gestes 'déplacés' au viol, en passant par l'agression (physique, sexuelle) et le harcèlement", détaille l'initiatrice de #UberCestOver. "Drague lourde en direct ou par SMS, intrusions malsaines (questions sur la vie intime de la passagère, sa vie sentimentale ou sexuelle), insultes misogynes, avances, agressions, masturbations... Dans certains cas, les témoignages renvoient aux attitudes tout aussi "problématiques" de certains livreurs Uber Eats (livraison de plats cuisinés créée par Uber), dénoncées sur Twitter : le chauffeur a connaissance du numéro de l'utilisatrice, n'hésite pas à la recontacter et à "insister" par textos interposés.
"Je pense à une jeune femme qui m'a contacté. Le chauffeur lui a écrit par SMS : 'J'ai envie de te bouffer la chatte'. Elle lui a répondu : 'Pardon ?' et n'a pas eu de retours par la suite. Quand un chauffeur écrit des trucs comme ça, cela prouve qu'une vraie impunité persiste dans ce milieu. Car s'il y avait de réelles actions de la part d'Uber et de réelles conséquences, aucun chauffeur n'oserait écrire de tels messages...", reconnaît Anne Toumazoff. Effectivement. C'est en partie cela, le problème. Les passagères rendent compte de cette "attitude déplacée ou dangereuse" à Uber France. Mais rien n'y fait. Et les histoires s'accumulent. Exemple ? Il y a un mois à peine, à Rennes, une passagère de 29 ans s'est faite agressée par son chauffeur. Après l'avoir insultée, celui-ci l'a cogné avec ses poings.
Alors, Anne Toumazoff, elle aussi, a décidé d'interpeller directement Uber. Petit hic : les community managers de l'entreprise ont la fâcheuse tendance d'effacer tous les commentaires mentionnant ces comportements pour le moins "inappropriés". Mais aujourd'hui, l'abondance des paroles qui se libèrent joue contre ce mutisme et cette censure d'entreprise normalisée.
"Vous voulez toujours pas parler de vos chauffeurs agresseurs/violeurs multirécidivistes et du fait que vous les laissez en service, nous exposant toutes au pire ? Mieux encore, vous répondez à rien et effacez nos commentaires ? Pas de souci, mais nous on va vous inonder en tout cas. On est des milliers, on a nos clavier", décoche Anne Toumazoff en direction du service VTC.
Les internautes s'activent sur Instagram, Twitter, Facebook. Mais les porte-paroles d'Uber, deux jours après la mise en ligne des premières stories, font toujours autant l'autruche.
Inutile d'aller bien loin pour constater l'ampleur de la situation. En lançant un simple appel à témoin, quelques heures nous ont suffit pour recevoir plusieurs messages. Comme ceux de Jade, 29 ans, qui, il y a trois ans de cela, est rentrée un soir en Uber, en plein centre de Lyon. Au fil du trajet, le conducteur a commencé à lui poser des questions personnelles.
"Il voulait savoir pourquoi j'avais l'air triste, si j'avais un mec... J'ai horreur 'd'inventer un mec' pour qu'on me laisse tranquille alors j'ai répondu que non". Résultat, une fois arrivés à destination, l'inopportun a fait trois fois le tour du pâté de maisons en essayant de convaincre la jeune femme "de rester avec lui pour aller prendre un verre". Jade refuse poliment, demande à être déposée, plusieurs fois. Ce manège a duré dix bonnes minutes avant que la passagère (enfin) ne parvienne à descendre.
Mais le lendemain, c'est par textos que le conducteur poursuit sa parade. "Je pense qu'il n'avait même pas compris où était le problème...", déplore la jeune femme. Jade va alerter Uber. Arrêter de prendre le service pendant un moment. Aujourd'hui encore, quand il lui arrive d'y revenir, l'utilisatrice donne au chauffeur une adresse "qui se trouve à quelques numéros de la mienne". Pour éviter que l'on sache où elle habite. Ironie de la situation ? Cela fait quelques temps déjà qu'Uber France est en partenariat avec HandsAway et Stop Harcèlement de Rue, des associations qui se battent contre le harcèlement. L'entreprise en a même fait sa garantie, épinglée sur son site : "Uber s'engage pour la sécurité des femmes dans l'espace public".
Sur son site encore, le service VTC se targue de voir des millions de Françaises lui faire confiance "pour rentrer chez elles le soir", à grands coups de détails censés nous rassurer : la géolocalisation, les informations détaillées sur le chauffeur et le véhicule, le fait que la course soit trackée. Mieux encore, les cadres dirigeants d'Uber France auraient même participé "à une formation assurée par une experte des violences sexuelles".
Pour Anne Toumazoff, "c'est du pur feminism washing", comprendre un féminisme marketing et purement opportuniste à deux balles. "Car dans les faits, rien ne change, ils ne réagissent pas !", s'alerte l'instagrammeuse.
La "sécurité", c'est pourtant l'une des grandes promesses de l'entreprise. La raison pour laquelle autant d'utilisatrices choisissent Uber plutôt que de risquer "une mauvaise rencontre" le soir - même quand il s'agit de très courts trajets. Mais en connaissance de ces histoires, les passagères doivent désormais être vigilantes, tout le temps. "Certaines filles qui m'écrivent me disent que pour éviter que les chauffeurs conservent leur adresse, elles ne se font jamais déposer devant chez elles ! C'est grave. On en arrive à mettre en place des stratégies d'évitement alors que c'est un service qui est censé nous protéger", s'indigne Anne Toumazoff.
Parmi les témoignages que nous avons reçus chez Terrafemina, celui de Camille, 25 ans. Tout s'est passé l'été dernier. la jeune femme fait appel à un chauffeur Uber, en sortie de festival, à Vincennes, vers six, sept heures du matin. Un garçon l'accompagne alors. Camille hésite à rentrer avec ce dernier. Mais non, elle aimerait être "tranquille". Hélas, une fois son ami sorti de la voiture, il ne faut pas longtemps au chauffeur pour interroger sa passagère. Le tutoiement est spontané et les propos, de plus en plus "déplacés". "Le chauffeur commence la conversation sur : 'Tu rentres pas avec lui ?'. Je lui explique que non, qu'on a bien rigolé, mais que j'ai envie de dormir. Il me répond : 'Il te faut quelqu'un pour terminer ta soirée'. Je réponds encore : 'Non'. Et là, les allusions sexuelles arrivent très vite", se remémore Camille.
Le chauffeur la qualifie de "chaudasse". Lui dit : "Je suis sûr que tu te touches". Puis, entre deux questions, retire sa main droite du volant. La déplace vers sa braguette. Et commence à se masturber. "Je comprends ce qu'il se passe. Je me pétrifie, je me dis qu'il va falloir gérer pour pas que ça dégénère. Il me dit : 'Regarde, tu m'excites'. Je tourne la tête vers la fenêtre, j'essaye de rester calme, je bégaye 'non'. Il continue à se masturber, j'entends le bruit...", poursuit la jeune femme, totalement sidérée. Camille est finalement parvenue à destination. Quarante cinq minutes plus tard. Lorsqu'elle a couru vers la porte de son immeuble, le chauffeur lui a crié "T'es bonne". Après lui avoir demandé... son numéro de téléphone.
"Certains diront que c'est pas grave, que ça aurait pu être bien pire, mais rester enfermée avec quelqu'un qui vous veut du mal, ou bien qui aurait pu... c'est loin d'être super". Doux euphémisme. "Cet homme aurait certainement pu me violer, et il en était certainement pas à sa 'première fois' vu l'aisance qu'il avait", détaille encore Camille. Rapidement, celle-ci signale tout à Uber. Sans réponse. Alors, elle décide de porter plainte. Au commissariat, elle n'a en sa possession qu'un prénom et qu'un modèle de voiture. Sans détails quant à l'identité complète de l'agresseur, les autorités refusent de prendre sa plainte.
"Finalement, une personne de Uber finit par me contacter. Elle m'explique qu'elle ne peut rien me donner, je la supplie de me filer les infos, que je suis au commissariat et qu'ils ne veulent pas prendre ma plainte sans ces infos. Elle me donne une adresse mail pour que le commissariat les contacte. Bref, je me suis faite jeter par Uber et par le commissariat ce jour-là. Je venais de vivre un enfer et personne ne m'a aidée", conclut-elle. Le traumatisme est encore vif. Et comme le démontrent les témoignages recueillis par Anne Toumazoff, Camille n'est pas la seule à avoir vécu ce genre de situations. Cela dure depuis des années.
Mais désormais, c'en est trop. L'indignation résonne et devient virale. Aujourd'hui, pour la créatrice de Memes Pour Cool Kids Feministes, une chose est certaine : "Uber France, il va falloir se justifier".