Culture
Il raconte sa transition de genre en musique : rencontre avec le chanteur Charlie Pâle
Publié le 4 juillet 2022 à 17:04
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
A travers sa musique et son compte Instagram, le chanteur Charlie Pâle décrit les doutes et les questionnements d'un jeune homme trans. Nous l'avons rencontré.
La bataille du chanteur trans Charlie Pâle
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Charlie Pâle a le regard rieur. Avec sa casquette et son bermuda, il a des allures d'ado espiègle. Sur son cou se déploie un beau papillon tout neuf. Un tatouage qu'il vient d'adopter, symbole de sa "renaissance". Car oui, Charlie vient d'éclore après des années d'errance et de questionnements. De cette introspection, il a tiré un EP sensible au titre évocateur, Je vais où ?. Des chansons qu'il a écrites alors qu'il était sur le point d'entamer sa transition. Aujourd'hui, il documente son parcours sur son compte Instagram, en espérant pouvoir aider d'autres personnes trans et "montrer qu'on existe".

Pour Terrafemina, le chanteur revient sur son parcours, ses combats contre lui-même et les autres, sur ses espoirs aussi.

Terrafemina : Comment te définirais-tu, Charlie ? Chanteur militant ?

Charlie Pâle : J'ai du mal avec le terme "militant". Mais quand on commence à aborder des sujets importants, à défendre nos droits, je pense qu'on l'est d'une certaine manière. Ma démarche, c'est montrer qu'on existe. J'ai besoin d'en parler à travers mes chansons. Egoïstement, cela m'aide parce que j'ai envie de me donner de la force. Et pouvoir aider d'autres personnes qui vont écouter, c'est formidable.

Quand as-tu réalisé que tu voulais être chanteur ?

C.P. : J'ai toujours aimé chanter depuis que je suis tout petit. Vers 15-16 ans, je suis tombé malade, j'ai été déscolarisé et la musique a été la seule façon pour moi de penser à autre chose. J'ai appris la guitare à ce moment-là. Ca a été vital d'écrire sur ce que je ressentais, cela m'a beaucoup aidé.

En 2018, j'ai gagné un tremplin musical récompensant des auteurs-compositeurs. J'ai gagné un enregistrement studio et un clip. C'est là que j'ai réalisé que je voulais en faire mon métier. Avant, cela me semblait impossible.

As-tu eu des modèles auxquels t'identifier en grandissant ?

C.P. : En tant que chanteur, j'ai été très inspiré par le groupe Fauve, je les écoute en boucle. J'aime aussi Justin Bieber, Coeur de pirate, Eddy de Pretto, Hoshi.

Mais celle qui a joué un grand rôle, c'est Chris (ex-Christine and The Queen). C'est grâce à elle que j'ai commencé à m'intéresser à la question du genre et elle m'a aidé à réaliser que j'étais un homme trans. J'ai d'abord découvert le terme non-binaire, qui m'a interpellé. Puis j'ai commencé à trouver des réponses aux questions personnelles que je me posais.

J'ai réalisé que je n'étais pas honnête avec moi-même. Je ne me suis pas tout de suite assumé comme homme trans car c'était violent : j'avais été assigné femme pendant 23 ans. J'ai vite réalisé que je n'étais pas non-binaire, mais bien un homme trans. J'ai finalement commencé à faire ma transition sociale (exprimer son genre autrement que selon les normes associées au genre assigné à la naissance- ndlr) à l'été 2020.

Le chanteur transgenre Charlie Pâle
Les chansons de ton EP ont été écrites il y a 3 ans. A ce moment-là, tu dis que tu étais dans le déni, tu ne savais pas encore que tu étais un garçon. Ces chansons te ressemblent-elles encore ?

C.P. : Oui, mais j'ai aujourd'hui une autre lecture de ces chansons-là. Dans ces titres, je parle du doute, de ne pas savoir où je vais, de la peur de l'inconnu. Inconsciemment, je parlais déjà de ma transidentité. Au final, ces chansons sont comme un journal intime de ma transition. C'était libérateur pour moi.

As-tu eu peur que ton traitement hormonal impacte ton chant ? Comment gère-t-on ce changement de timbre ?

C.P. : Oui, j'ai eu peur quand j'ai appris que j'allais devoir prendre des hormones dans mon parcours de transition- ce qui n'est pas du tout obligatoire. D'abord parce que je n'avais pas de modèles, donc je ne savais pas du tout où j'allais. J'avais une belle voix, je construisais mon projet musical et je me suis dit : "Est-ce que tu vas tout gâcher maintenant ?". Mais c'était aussi vital de transitionner que de faire mon métier de chanteur.

Etant très fan de Justin Bieber, je me suis mis dans la tête que j'avais 12 ans et que j'allais muer comme un mec cisgenre (rires). J'ai donc beaucoup travaillé ma voix, je suis allé chez l'orthophoniste. Je commence à peine à me détacher de cette peur.

As-tu l'impression d'explorer d'autres perspectives avec ta "nouvelle" voix ?

C.P. : Le changement de voix ne vient pas d'un coup, donc je ne m'en suis pas trop rendu compte. Par contre, j'ai perdu ma voix de tête : peut-être que je la retrouverais, mais ce n'est pas une fin en soi. J'apprends aujourd'hui à chanter autrement. Longtemps, j'ai voulu m'accrocher à mon "ancienne" voix, je voulais conserver les mêmes capacités vocales, mais je me suis rendu compte que ce n'était pas possible. Je me suis donc adapté.

Dans ta chanson Je vais où, tu dis "C'est la vie qui passe, il y a des choses qui se créent, d'autres qui se cassent" : qu'est-ce qui s'est créé et qu'est-ce qui a rompu dans ton cheminement ?

C.P. : Il faut avancer et se détacher de certaines choses pour en vivre d'autres encore meilleures. Je vivais beaucoup dans le passé et dans la peur du futur. J'ai très mal vécu mes années scolaires qui ont été très compliquées. L'école ne me convenait pas, je n'avais pas beaucoup ami.e.s, j'avais du mal à trouver ma place. Lorsque j'ai été déscolarisé, cela m'a isolé des jeunes de mon âge. Du coup, j'ai mûri et me suis émancipé très vite.

Tout cela a beaucoup impacté ma confiance en moi. Quand un prof en troisième te balance : "Tu es nul, tu ne feras jamais rien de ta vie", c'est violent et ça reste des années plus tard. Laisser ce passé derrière moi, c'était important pour construire autre chose.

Tu as justement tourné ton clip dans ton ancien lycée. Etait-ce une forme de catharsis ?

C.P. : J'aime beaucoup les symboles. J'ai donc choisi le lycée où j'ai fait ma troisième professionnelle. Le cadre est magnifique et il était important pour moi de revenir là, comme une forme de guérison pour passer à autre chose. C'était d'autant plus chouette qu'il y a quelques personnes transgenres dans ce lycée : la direction était contente et nous sommes en discussion pour que je vienne expliquer mon clip et ma chanson. Ils veulent les accompagner au mieux dans leur scolarité, c'est formidable.

Quelle est l'histoire de tes tatouages ?

C.P. : Ils n'ont pas tous de grande signification : j'ai un bélier parce que je suis Bélier, le coeur est un symbole de vie. Mais j'ai deux dates importantes : celle de ma torsoplastie et la date de ma première injection d'hormone. Et j'ai aussi un papillon parce que je trouve ça beau et c'est aussi un symbole de renaissance.

Tu partages les étapes de ta transition sur ton compte Instagram. Cela te semble-t-il important ?

C.P. : Oui, parce qu'on n'a pas de visibilité et parce que c'est important de montrer tout ça. Moi, je n'ai pas eu d'exemples : j'ai donc créé le modèle que j'aurais aimé avoir. Ca m'aide et si ça peut aider au moins une personne, c'est génial.

Quels genres de retours as-tu ?

C.P. : De super retours. Tout d'abord de personnes concernées qui sont en questionnement, qui craignent de prendre de la testostérone par peur de perdre leur voix par exemple. Et puis il y a aussi des personnes cisgenres non concernées qui s'intéressent au sujet par le biais de ma musique. Elles apprennent et se déconstruisent en même temps. On a besoin d'allié·es.

Tu insistes sur le fait que tu te plais. Pourquoi est-ce essentiel ?

C.P. : Je me plais de plus en plus car plus j'avance dans ma transition, plus je suis en phase avec moi-même, même si la route est très longue. C'est compliqué car il y a aussi des phases de dysphorie (terme utilisé pour décrire la détresse d'une personne transgenre face à un sentiment d'inadéquation entre son genre assigné et son identité de genre- ndlr) qui sont plus ou moins dures. Il n'y a pas une journée entière où je me sens bien. Il y a toujours des moments où je ressens un malaise, où quelque chose me ramène à mon genre assigné à la naissance, parfois juste le fait de me regarder dans le miroir...

Mon rapport à moi-même est complexe. J'essaie de faire beaucoup de photos comme beaucoup de personnes trans d'ailleurs. Ca me permet de voir mon évolution et mon rapport à mon corps. Depuis que j'ai fait ma torsoplastie, je dois avoir au moins 500 photos de moi torse nu par exemple. C'est primordial de réapprivoiser mon corps et de me sentir bien.

Es-tu victime de discriminations, d'agressions transphobes ?

C.P. : Oui. Sur les réseaux sociaux, je reçois des messages qui me mégenrent (attribuer à une personne, volontairement ou pas, un genre dans lequel la personne ne se reconnaît pas- ndlr), où l'on me dit que je suis "contre-nature"... Ce sont des mots qui sont durs.

Dernièrement, lors de mes courses, on a cru que j'avais volé la carte bancaire de quelqu'un parce que mon "deadname" (le nom d'une personne trans qui lui a été assigné à la naissance- ndlr) y apparaissait. J'ai donc dû dire que j'étais transgenre pour me justifier. Et puis il y a aussi de la transphobie qui n'est pas intentionnelle, des micro-agressions qu quotidien.

Dans l'entreprise dans laquelle je travaille actuellement - je bosse en intérim dans une usine en attendant de pouvoir vivre de ma musique- personne ne sait que je suis trans. Je passe pour un mec cisgenre, il n'y a pas de remarques, de regards bizarres. Je suis "incognito" et cela me fait du bien. J'en profite.

Ton rêve serait de remporter une Victoire de la musique révélation masculine. Serait-ce la plus belle des victoires ?

C.P. : Oui, ça serait une forme d'acceptation. Après tout ce parcours, j'aurais l'impression d'avoir réussi. Je suis un mec et on m'aurait validé en tant qu'artiste masculin. Ce serait formidable.

Sais-tu un peu plus où tu vas aujourd'hui, Charlie ?

C.P. : Un peu plus. Mais personne ne sait jamais trop où il va, non ? Se connaître, accepter qui on est et être à l'aise avec nous-mêmes, cela permet d'être plus assuré pour la suite. Les doutes et les peurs resteront sûrement, mais ça donne de bons bagages. La prochaine étape ? Faire des concerts un peu partout en France, sortir de nouvelles chansons et on commence à bosser sur l'album. J'ai hâte.

Charlie Pâle, EP Où je vais ?

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Culture LGBTQI musique Portraits News essentielles interview Transgenre
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