"Dans ce film, je porte un t-shirt sur lequel est marqué 'We Should All Be Feminists' ('Nous devrions tous être féministes'). C'est une idée de Pedro. Je crois que c'est le plus grand des féministes. Il aime, respecte, admire tellement les femmes". On ne peut guère être plus clair que cette affirmation de Penélope Cruz à LCI. L'actrice est au coeur du dernier long de Pedro Almodovar, en salles ce 1er décembre : Madres paralelas.
Une histoire de féminités dont le cinéaste espagnol a le secret, et une oeuvre très attendue, dont la force militante s'était d'ailleurs déjà exprimée lors de la diffusion de son affiche, censurée sur les réseaux sociaux : on voyait sur celle-ci un téton-oeil où coulait une larme de lait, hommage réjouissant au cinéma surréaliste de Luis Bunuel.
La sortie d'un nouveau film de Pedro Almodovar est toujours un événement. Mais aussi l'occasion d'explorer de nouveau ses portraits de femmes, si singuliers et passionnés. En voici d'ailleurs cinq à (re)découvrir illico.
Pepi, Luci, Bom y otras chicas del montón, premier long-métrage officiel du réalisateur, érige dès son titre en forme d'énumération les "chicas" du titre en héroïnes incontestables. Note d'intention finalement rare chez Almodovar, si l'on excepte Kika (1993) avec Verónica Forqué et Victoria Abril et Julieta (2016, voir plus bas). La Pepi en question n'est autre que la royale Carmen Maura, au coeur de ce récit déroutant de viol et de vengeance faisant la part belle aux minorités et marginalités – sexualités alternatives (BDSM), lesbiennes, drag queens.
Vous l'aurez deviné, on retrouve déjà là certaines obsessions de son auteur, tel un amour des amitiés féminines et de la transgression, mais d'une manière plus foncièrement provoc, trash, caractéristique de ses premiers longs-métrages. C'est dans ce film-là que la féminité selon Pedro Almodovar s'esquisse par traits brouillons : plurielle, affirmée, effrontée, libre. Dépeinte d'une génération à l'autre, elle est un langage à elle seule, complexe et tragicomique. Quarante ans de longs-métrages déclineront ce motif.
Voilà un titre de film qui résonne comme un manifeste. Car qu'est-ce qu'un film d'Almodovar si ce n'est une plongée au coeur des conversations et intimités féminines ? Des fragments de vie décalés, cocasses ou déconcertants, hauts en couleurs. Prix du meilleur scénario à la Mostra de Venise 1988, également auréolé par cinq Goya (les César espagnols), le septième long-métrage du cinéaste marque son virage plus grand public et "académique"... Entre guillemets, les conventions étant toutes relatives dans son monde.
En s'inspirant librement de Jean Cocteau, Almodovar convie dans cette chronique madrilène un panel de comédiennes emblématiques : Carmen Maura (alors grande habituée du maestro), Julieta Serrano, María Barranco, sans oublier l'exceptionnelle Rossy de Palma, que l'on retrouvera dans Attache-moi et La fleur de mon secret.
Autrement dit, des femmes de caractère, insaisissables et imprévisibles, qui suffisent à assurer le rythme de ce vaudeville entremêlant sorties d'appartement, amours chaotiques, amants et ruptures. Dans ce petit théâtre, ce sont elles qui mènent la danse, n'en déplaisent à ces messieurs.
Pleurer en visionnant Tout sur ma mère, tout comme s'effondrer devant la fin de Sur la route de Madison, est, plus qu'une expérience cinéphile, presque un rite de passage. Plus de vingt ans après sa sortie en salles (auréolée d'une affiche magnifique), Todo sobre mi madre demeure encore l'oeuvre la plus célébrée du cinéaste espagnol. Prix de la mise en scène au Festival de Cannes, César du meilleur film étranger, Oscar du meilleur film en langue étrangère, sans oublier sa pluie de prestigieux Goya (Meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure actrice)...
Mais comment l'expliquer ? Par l'universalité de son sujet : le deuil d'une mère perdant dans un accident tragique son fils de 17 ans. Par les performances de ses comédiennes : Cecilia Roth, Marisa Paredes, Candela Peña. Mais surtout par ce cri du coeur : Tout sur ma mère est dédié à Bette Davis, Gena Rowlands, Romy Schneider...
"...À toutes les actrices qui ont interprété des actrices, à toutes les femmes qui jouent, aux hommes qui jouent et se transforment en femmes, à toutes les personnes qui veulent être mères. À ma mère", y annonce ouvertement Almodovar l'espace d'un carton, déclinant à l'envi la notion de féminité. A noter que le titre lui-même est un hommage à All About Eve, classique Oscarisé de Joseph L. Mankiewicz où flamboie Bette Davis.
On le comprend, Tout sur ma mère loue avec ferveur et humilité la force des comédiennes qui performent face caméra mais aussi celle des spectatrices. On devine donc aisément le pourquoi de son caractère inter générationnel. Rarement ode aux femmes (par un homme) n'a été aussi bouleversante.
Avant d'être un album de Benjamin Biolay, Volver est évidemment un film de Pedro Almodovar, lui-même inspiré d'un tango éponyme de Carlos Gardel - ici interprété par Estrella Morente. Une chanson qui semble marcher sur les pas de la "saudade", cette expression portugaise synonyme de spleen, d'exil et de nostalgie, que seule la musique sait exprimer avec clarté. Doux-amer, Volver l'est forcément, conjuguant musicalité et drame à travers les performances de deux comédiennes fétiches du maestro : Penélope Cruz et Carmen Maura.
Le drame, c'est notamment celui des violences sexuelles et de l'inceste, traumatisme auquel répond une évidente sororité entre femmes. Comme d'habitude, ce sont les personnages féminins, cibles et témoins de la violence des hommes, qui sont au premier plan de cette histoire familiale hantée par la mort et le secret. La partition fine d'Almodovar fait encore mouche : Volver sera un grand succès public à l'international.
Ainsi que l'affirmation d'une chose : c'est devant la caméra complice du réalisateur que Penélope Cruz, star mondiale, s'épanouit et se réinvente le plus, comme si ces rôles étaient spécialement pensés pour elle. Etreintes Brisées (2008) ainsi que Douleur et Gloire (2019) le démonteront.
A sa sortie en salles, Julieta a volontiers décontenancé son public. La raison ? Son style plus épuré, grave et intériorisé qu'à l'accoutumée. Pourtant, Almodovar est bien connu pour une chose : son mix des tonalités, ce balancement entre légèreté et drame, d'une séquence à l'autre parfois. La Julieta du titre est une femme de 50 ans au passé mystérieux, cherchant à revoir sa fille, qu'elle n'a pas vu depuis des années.
Sous couvert de relations mère/fille (un motif majeur s'il en est), Almodovar adapte l'un des romans de l'autrice canadienne Alice Munro, prix Nobel de Littérature, et donne le la à un cinéma hanté par les souvenirs (éparpillés comme les pièces d'un puzzle) et les non-dits. Verdict ? C'est toujours à travers la complexité féminine que le cinéaste confère à son propre univers de nouvelles couleurs, formes et ambitions. Et la sortie de Madres paralelas ne risque pas de contredire cette vérité.
Pour en être sûr·e, filez donc le découvrir en salles.