Mindy est une jeune femme d'origine indienne, employée d'usine au sourire rayonnant et à l'optimisme increvable - du style à vénérer les publications "super-inspirantes" qui inondent votre fil Instagram et à se ramener au bureau avec une boîte de gâteaux. Katherine Newbury est quant à elle une légende de la télévision américaine, auréolée de quelques Emmy Awards pour le late-night-show qu'elle présente depuis des décennies. Tout les oppose.
Seulement voilà, la seconde a besoin de la première pour diversifier son équipe et, surtout, booster une émission sur la corde raide. C'est une belle histoire qui s'élabore entre cette despote un brin paumée aux directives cinglantes et l'électron libre, bousculant avec allégresse le "vieux monde" - soit une salle d'auteurs constituée de mâles blancs aux blagues sexistes.
Vous vous en doutez, Late Night n'est pas la moins ambitieuse des pétillantes comédies qui investissent les salles cette semaine. Comme le laisse deviner le synopsis, le film dynamique de Nisha Ganatra brasse autant d'échanges hauts en couleurs que de thématiques touchy. De la nécessité de rendre les équipes d'auteurs les plus inclusives possible aux enjeux du monde du spectacle à l'ère post-#MeToo, des discriminations "ordinaires" au slut-shaming qui pullule sur le web, rien ne vous sera épargné. Et tant mieux ! Car l'on peut toujours compter sur la plume punchy de son autrice Mindy Kaling pour rendre le tout aussi digeste que percutant.
Bien connue des fans de The Office (où elle incarne l'employée Kelly Kapoor), "Mindy" - telle qu'elle se dénomme simplement dans le film - est un talent multifacettes : comédienne et scénariste, productrice et réalisatrice. Les fidèles de sa série The Mindy Project connaissent bien cette personnalité excentrique naturellement attachante, dont les réparties qui claquent bouclent génialement les clapets de confrères masculins à l'arrogance humiliée. Late Night est évidemment l'histoire de cette "Mindy"-là, autrice charismatique croquant son petit bout de rêve américain malgré les nombreux obstacles qui l'empêchent d'être considérée d'égal(e) à égal(e).
Mais c'est aussi un autre portrait de femme qui s'esquisse, tout aussi personnel : celui d'une Emma Thompson croquée en patronne abusive - elle est même qualifiée d'antiféministe - qui va peu à peu se réconcilier avec sa fougue d'antan. Une belle introspection pour la brillante actrice qui, sous couvert de répliques so british (c'est à dire fines et cruelles), renoue avec ses premières amours de jeunesse - ses débuts dans la troupe de doux dingues du Cambridge Footlights - tout en cinglant, micro au poing, les discriminations que subissent les femmes de plus de cinquante ans dans l'industrie du divertissement. "Ce n'est pas juste, mais ce n'est jamais juste pour les femmes", déclare d'ailleurs son personnage à sa consoeur indignée.
C'est dire si Late Night est un cocktail moderne, dont les arômes évoquent aussi bien Le diable s'habille en Prada que l'écriture frénétique de la série 30 Rock, cette autre histoire de "writers room" menée par une autrice déchaînée. Excellent remède à l'insupportable rengaine du "on ne peut plus rien dire", le film de Nisha Ganatra égratigne les masculinités toxiques pour mieux nous rappeler que les vannes les plus exclusives ne sont pas forcément les plus subversives. Désolé messieurs, mais il est peut-être temps d'enterrer un certain "humour de papa" que l'on ne connaît que trop bien.
C'était déjà là le discours sous-jacent de Nanette, le bouleversant spectacle de stand up d'Hannah Gadsby qui nous a scotché sur Netflix l'an passé. Un rire, nous assurait l'humoriste australienne, raconte toujours quelque chose. En cela, il peut tout à fait incarner le changement. Ou la révolution. Tel est le combat de "Mindy". Et l'adage de la toujours insolente Emma Thompson, qui en interview nous l'assure : "si les femmes n'avaient pas d'humour, nous aurions disparu depuis longtemps ! L'humour est notre arme la plus efficace".
Et de l'humour, Late Night en a à revendre, de son bouquet de tacles sur Jimmy Fallon, Steve Martin et Robert Downey Jr. à quelques évocations ironiques plus sensibles (comme le patriarcat... et le suicide). Un entrain que l'on s'impatiente de redécouvrir dans le prochain projet de Mindy Kaling : une adaptation télévisuelle du classique Quatre Mariages et un Enterrement. L'occasion idéale de bousculer le genre un peu trop phagocyté de la comédie romantique.