Pour son coup d'essai, Claire Burger avait frappé fort : la réalisatrice française avait reçu la Caméra d'Or du premier film à Cannes en 2014 et le César du meilleur premier film pour l'épatant Party Girl, portrait rock'n roll et émouvant d'une sexagénaire en pleine crise existentielle. A l'époque, elle était entourée par deux acolytes, Marie Amachoukeli et Samuel Theis. En mars prochain, Claire Burger prendra son envol en solo. La voici de retour avec C'est ça l'amour. Cette fois-ci, la cinéaste qui aime tant les femmes battantes s'attache à un homme, un papa séparé qui tente tant bien que mal de gérer ses deux filles. Déconstruire les clichés, filmer le fragile, encore une fois.
C'est cette audace et ce talent qu'a voulu récompenser les Arcs Film Festival en remettant à Claire Burger le prix "Femme de cinéma" pour son édition 2018.
Nous avons interrogé la nouvelle lauréate sur son statut de femme réalisatrice dans le milieu encore très masculin du cinéma, sur ses aspirations à l'ère #MeToo et sur ses inspirations.
Claire Burger : J'ai eu la chance de rencontrer peu d'obstacles sur mon parcours. Je peux par contre constater ce qui manque encore au paysage actuel du cinéma français, et finalement, à notre société toute entière. Dans le cinéma comme ailleurs, il faut que des femmes accèdent aux postes à responsabilité, qu'elles soient également décisionnaires.
Pour assurer plus d'équité mais aussi pour montrer l'exemple des possibles aux générations qui arrivent et aux femmes qui vivent dans des endroits où tout leur est encore inaccessible. En France, enfin, une génération de jeunes femmes cinéastes talentueuses émerge. Elles se heurtent parfois encore aux habitudes et pratiques de certains décideurs, héritiers d'un ancien monde, qui ralentissent ce bouleversement. Des hommes, et parfois mêmes des femmes, dont les mentalités ont été façonnées trop longtemps par des règles désormais obsolètes. Le cinéma reste un univers trop masculin où les femmes doivent être plus et mieux représentées. Il faut plus de réalisatrices, mais aussi plus de productrices, plus de sélectionneuses dans les grands festivals, plus de femmes dans les commissions...
C.B. : Je n'ai pas rencontré de difficultés majeures en tant que femme pour devenir réalisatrice. C'est une chance. Et j'ai conscience que dans beaucoup de pays du monde, je n'aurais pas pu faire de cinéma. Je m'entoure de collaborateurs et de techniciens pour qui la question de mon sexe ne se pose pas. Les hommes que je fréquente sont féministes, mes parents l'étaient aussi.... Grâce à eux, je n'ai pas eu à douter de ma légitimité à vouloir faire ce métier en tant que femme.
J'ai donc tendance à forcer le passage quand on m'oppose une réaction sexiste. Aujourd'hui, en Occident, les privilèges réservés jusque-là aux hommes sont logiquement remis en question. Les générations qui nous précédent se sont battues pour ça. Il appartient à ma génération, qui bénéficie de ces changements, de continuer à lutter pour rendre le monde plus juste.
C.B. : J'essaye de ne pas reproduire les clichés de genre dans mes films. De ne pas voir les femmes seulement comme des objets de désir ou comme des victimes. Il y a des femmes avides de pouvoir, des hommes sensibles ou fragiles, je pense que c'est important de le montrer. C'est ça pour moi, l'égalité. Admettre que nous pouvons tout être, le meilleur comme le pire, homme ou femme, et que nous n'avons pas de domaines réservés.
C.B. : Ce que j'ai trouvé formidable, c'est que ça a rapidement dépassé le seul secteur du cinéma. Des femmes du monde entier, des anonymes, se sont autorisées à dénoncer les violences qu'elles subissent au quotidien. J'ai vécu cette soudaine prise de conscience collective comme la possibilité d'une véritable révolution. Les débats qui ont suivi sont passionnants.
Nous vivons une époque où nous avons l'occasion de déconstruire ensemble les systèmes de domination de l'Homme sur l'Homme : la domination des hommes sur les femmes, mais aussi celle des riches sur les pauvres ou des blancs sur les noirs... Si cela effraye beaucoup de gens, je crois que nous avons tous à gagner à nous pencher enfin vraiment sur ces questions pour mieux vivre ensemble.
C.B. : Je n'arrive pas à choisir ! Il y a trop de films qui m'ont bouleversée. Mais je peux citer des cinéastes qui comptent beaucoup pour moi. John Cassavetes, Maurice Pialat, Lars Von Trier, et plus récemment Robin Campillo, Andrea Arnold, Gianfranco Rossi ou Joachim Trier...
C.B. : Je suis moins émue en pensant à des "icônes féministes" qu'en pensant aux combats quotidiens d'une multitude de femmes pour améliorer leurs sorts. Il y a tant de femmes et d'hommes, dans l'ombre, qui oeuvrent à faire évoluer les choses. Le féminisme est un travail collectif. C'est l'affaire de tous.
C.B. : Je pense à Wanda de Barbara Loden ou à Femme sous influence de John Cassavetes... Mais aussi à un film plus contemporain : Un amour impossible de Catherine Corsini sorti le mois dernier. Ce film fait le récit sur 40 ans de l'amour d'une femme pour sa fille. Mais aussi de la cruauté terrifiante de l'homme qu'elle aime, père de son enfant, dans un monde patriarcal qui lui autorise tout. Des années soixante à nos jours, Corsini raconte le combat des ces deux femmes pour tenir debout, ne pas être anéanties par la domination masculine dans ses formes les plus redoutables. C'est le film féministe de l'année !
C.B. : Il y a aujourd'hui en France des actrices formidables : Marina Foïs, Virginie Effira, Valéria Bruni Tedeschi, Isabelle Huppert... Mais pour l'instant je suis encore dans le rêve des actrices avec lesquelles je viens de tourner mon film : Justine Lacroix, Sarah Henochsberg, Cécile Rémy-Boutang, Antonia Buresi...
C.B. : De mon vivant, j'aimerais être inspirée par la première femme présidente de la République française, par la première cinéaste française qui obtiendra la Palme d'or à Cannes... Mais aujourd'hui, celle qui m'inspire le plus, c'est celle dont je suis amoureuse et qui partage ma vie.
C.B. : Je reviens à mon amie réalisatrice, Catherine Corsini. J'ai pris conscience en la regardant travailler cette année qu'elle s'était battue pour nous, la jeune génération. Avec quelques autres, elle a ouvert la voie pour les réalisatrices qui arrivent. Son film, Un amour impossible, est une belle métaphore de ce combat mené courageusement.
Justine Triet, Alice Winocour, Rebecca Zlotowski, Céline Sciamma, Mati Diop, Sophie Letourneur, Valérie Donzelli et beaucoup d'autres, vont faire le cinéma de l'année prochaine. Nous le devons aussi à nos aînées, pour qui les choses ont sans doute été plus difficiles.