Clémence Poésy est féministe et elle le revendique. Elle aime les personnages forts, le regard des réalisatrices, les scénarios qui bousculent. Actrice engagée, la Frenchy qui navigue entre grosses productions internationales (on l'a récemment vue dans le Tenet de Christopher Nolan) et divan intimiste (elle a rempilé pour une saison 2 d'En thérapie) choisit ses rôles avec soin. Et elle a immédiatement été attirée par l'univers hanté et brumeux de la série The Essex Serpent.
Dans ce show créé par la Britannique Anna Symon, diffusé sur AppleTV+ depuis ce 13 mai, elle incarne Stella, la femme du pasteur (Tom Hiddleston) d'un village anglais planté au bord des marais de Blackwater. Une communauté rongée par la superstition qui sera chamboulée par l'arrivée d'une naturaliste (Claire Danes) en quête d'une créature légendaire.
Nous avons joint Clémence Poésy par téléphone pour parler de ses choix exigeants, de cette révolution #MeToo qu'elle attendait tant et représentation à l'écran.
Clémence Poésy : Je suis quelqu'un d'assez superstitieux, j'ai des espèces de rituels, mais tout ce qui est créatures fantastiques, ce n'est pas trop mon truc. Par contre, j'ai tout de suite trouvé intéressant que cette histoire de serpent vienne interroger toute une galerie de personnages, leur rapport à l'inconnu, à la peur, à la science et à la religion.
C.P. : Complètement. Cette série raconte des vies qu'on n'avait pas encore assez racontées, des destinées féminines que l'on n'a pas l'habitude de voir. Il faut que les personnages féminins occupent cet espace et je trouve que The Essex Serpent vient combler un espace encore assez vierge. Et puis les personnages masculins sont eux aussi surprenants et passionnants car on y perçoit leur part de féminité. Peut-être parce qu'ils sont regardés et écrits par des femmes (la série réalisée par Clio Barnard et écrite par Anna Symond- Ndlr)?
C.P. : Oui, dès la lecture du script. Je me suis dit que c'était un scénario que je n'aurais probablement pas lu il y a quelques années. Et le regard de la réalisatrice Clio Barnard a été aussi fondamental.
C.P. : Non, ce n'est pas frustrant, car je suis très fière d'avoir fait partie de cette aventure-là, qui a été importante pour beaucoup de personnes. Cela a été une grande histoire et raconter des histoires, c'est ce que je préfère. Ce qui est troublant par contre, c'est que je n'ai qu'un petit rôle et c'est donc étonnant qu'on continue à m'en parler. Mais c'est parce qu'on est vraiment face à un véritable phénomène.
C.P. : On fait toutes et tous fait partie de cette "expérience". La première saison a été diffusée pendant un confinement et cela a sans doute participé à rendre cela encore plus intense. Nous avons accompagné les spectateurs et spectatrices en quelque sorte. Du coup, cela a donné lieu à des conversations très intimes avec des gens que l'on connaissait à peine ! (rires). La série reste associée à une période forte et c'est très chouette.
C.P. : J'ai été élevée par une mère féministe pour qui la cause des femmes était essentielle et qui nous a transmis ça, à ma soeur et moi. J'ai une vraie soif d'égalité et on ne peut que constater que ce n'est pas encore le cas. Il y a un combat à mener. Ce à quoi on assiste depuis quelques années me réjouit profondément : #MeToo change les choses, ouvre des perspectives, cela secoue et ça me paraît essentiel. Cela me plaît de participer à des projets qui accompagnent cette évolution.
C.P. : Ce qui est génial, c'est de voir que d'une situation tragique est née cette envie de faire autre chose. Nous avons réalisé que nous étions face à un système figé et ahurissant. On a transformé cela en action, en quelque chose de positif. Assister à la naissance de cette révolution et voir les choses bouger tous les jours- même s'il y a encore à faire- est très encourageant.
C.P. : Bien sûr ! Ce qui a été troublant depuis #MeToo, c'est la prise de conscience, que cela soit au niveau des femmes comme des hommes, qui réalisaient d'un coup ce qu'avaient vécu leurs compagnes, leurs amies... Nous, on s'est rendu compte qu'on avait vécu des trucs qu'on n'avait même pas osé nommer ou que l'on avait considéré comme la "norme". Et on a commencé à parler : cela a ouvert des discussions que l'on n'avait pas eues ensemble jusqu'à présent. C'était hyper important de mesurer que cela avait touché tout le monde, à des degrés différents. Il y a eu les violences sexuelles, mais aussi ce sexisme ordinaire que toutes les femmes- il me semble- ont vécu.
C.P. : Il y a eu quand même des moments très forts, comme Adèle Haenel aux César 2020. Après, chacune décide de ce qu'elle a envie de partager publiquement ou pas, à l'aune de ce qu'elle a vécu. Il faut le respecter. Tant que derrière, il y a la volonté que ces choses-là ne se reproduisent pas et qu'on fasse évoluer ce qui nous semble insupportable. L'essentiel, c'est cette mise en mouvement.
C.P. : Oui, j'en avais discuté avec Christopher Nolan pour savoir si on allait insister sur le fait que mon personnage était enceinte et il m'avait répondue que c'était un non-sujet : "Elle est enceinte et puis voilà". Il n'en avait pas fait tout une histoire, à ma grande surprise. Il ne voyait pas pourquoi ce personnage ne pouvait pas être enceinte.
Puis j'ai fait du théâtre où là, pour le coup, il était compliqué que mon personnage soit enceinte. Il a donc fallu cacher mon ventre et ça a été une contrainte supplémentaire. Avouons que ne pas avoir à le camoufler, c'est quand même très agréable !
The Essex Serpent
Une série de Anna Symon
Avec Claire Danes, Tom Hiddleston, Clément Poésy...
Diffusée sur Apple TV+ à partir du 13 mai 2022