"Ce qu'ils ont fait hier soir, c'est nous renvoyer au silence, nous imposer l'obligation de nous taire !", avait décoché Adèle Haenel du côté de Mediapart, au lendemain de la 45ème cérémonie houleuse des César. La veille, l'actrice avait quitté la salle, indignée, alors que la statuette du Meilleur réalisateur venait d'être remise à Roman Polanski, cinéaste accusé de 12 viols. Son geste et son cri ("La honte !") sont vite devenus emblématiques.
Alors qu'il dévoilait de manière évidente le déchirement dont fait état le cinéma français, cet élan avait suscité l'admiration de bien des artistes et âmes militantes, telle l'autrice féministe Virginie Despentes, qui a signé à sa suite une tribune virulente : "Désormais on se lève et on se barre". C'était entendu, face à la domination patriarcale et à sa violence institutionnelle, il devenait nécessaire de lutter et de quitter la salle.
Mais qu'en dit au juste Adèle Haenel près d'une semaine plus tard ? Pour Paris Match, la comédienne est revenue sur les raisons de ce départ intensément politique.
"J'étais énervée", explique-t-elle au magazine, "mais je n'aurais pas pété les plombs s'il n'y avait eu ce mec derrière moi qui a crié 'Bravo Roman !' quand Polanski a gagné". La voici, l'une des grands "parce que" de cette sortie fracassante : les clameurs laudatives exprimées à l'égard non pas de J'accuse (par ailleurs déjà récompensé plus tôt dans la cérémonie), mais de Roman Polanski. C'est non seulement à l'adresse de l'Académie des César, mais également de cet admirateur décomplexé, que l'actrice a adressé son incendiaire "La honte !".
"Ça a été l'élément déclencheur. J'ai dit 'c'est la honte', Céline [Sciamma] m'a répondu 'Viens, on se casse', et je me suis levée", poursuit Adèle Hanel. Comme le dévoilent des images de ce départ en trombe (également captées par Paris Match), Adèle Haenel a également chantonné "Vive la pédophilie !", aux côtés de la réalisatrice Céline Sciamma, avant de gagner la sortie.
Difficile de ne pas comprendre cette réaction épidermique. Du côté de New York Times, la comédienne du Portrait de la jeune fille en feu l'expliquait déjà : "Distinguer Polanski, c'est cracher au visage de toutes les victimes. Ça veut dire, 'Ce n'est pas si grave de violer des femmes'. À la sortie du film J'accuse, on a entendu crier à la censure alors qu'il ne s'agit pas censurer mais de choisir qui on veut regarder", cinglait-elle. Il faut croire que certains ont justement choisi qui ils voulaient regarder, et surtout, qui ils voulaient acclamer...
"Je trouve le prix de Roman Polanski bizarre, j'ai un peu de mal à comprendre. Evidemment que je comprends Adèle [Haenel], après ses prises de parole, elle ne pouvait pas rester assise sur sa chaise à applaudir. Evidemment qu'elle a eu raison de le faire. On lui aurait reproché de ne pas l'avoir fait...", avait déclaré l'acteur césarisé Swann Arlaud le 28 février dernier au micro des journalistes. Plutôt que le départ légitime d'Adèle Haenel, ne serait-ce pas le sacre de Roman Polanski qui demande quelques justifications ?