Pour la naissance de son premier enfant, Clémence ne s'imaginait certainement pas accoucher dans un contexte de film catastrophe. C'est pourtant ce qu'elle a vécu il y a quelques jours. Cette Parisienne de 28 ans a mis au monde son bébé au coeur de la pandémie mondiale de coronavirus. La "vague" épidémique, elle ne l'a pourtant pas vu venir. Tout juste quelques petits signes avant-coureurs étranges. "On a commencé à en parler aux cours de préparation à l'accouchement quelques semaines avant le confinement. Les cours collectifs se sont transformés en cours individuels et la sage-femme portait un masque lors de ma dernière séance. C'est là où on a commencé à se dire qu'il y avait un truc qui n'était pas 'normal'."
Puis arrivent les nouvelles- atroces- émanant de l'Italie voisine, les morts par milliers. Et finalement, l'annonce officielle du confinement en France. "C'était stressant car il y avait très peu d'informations sur le coronavirus et les femmes enceintes. On allait à la pêche aux infos dans la presse spécialisée pour essayer de se rassurer, on appelait le médecin..." Les sorties, déjà rares au neuvième mois de grossesse, disparaissent. Clémence et son compagnon ne veulent prendre aucun risque. "On avait peur de tout. Nos deux mamans sont soignantes, l'une travaille en EHPAD et l'autre en centre de dialyse, donc elles connaissent parfaitement la situation. Et elles nous disaient de rester bien confinés."
C'est dans ce climat de haute tension qu'arrive le jour J. Et cette question : le futur père pourra-t-il être présent lors de l'accouchement ? Car certaines maternités ont pris la décision d'interdire le conjoint par mesures sanitaires, alors que le Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF) et le secrétaire d'Etat chargé de la Protection de l'enfance Adrien Taquet ont recommandé sa présence "à condition de respecter des consignes importantes". "On avait pris les devants pour savoir si c'était possible que mon compagnon soit là : on nous avait répondu que 'c'était OK mais que ça pouvait évoluer'. On s'était donc fait à l'idée que j'allais peut-être accoucher seule."
Les premières contractions interviennent dans la soirée. Le compagnon de Clémence la dépose à la maternité seule car les visites sont interdites de nuit. "J'avais réussi à récupérer un masque en arrivant aux urgences. Je l'avais mis par mesure de précaution, mais on m'a dit que cela ne servait à rien. On m'a beaucoup rassurée. On m'a d'ailleurs expliqué qu'il y avait une salle isolée dédiée aux femmes qui étaient suspectes d'avoir le virus."
Le futur papa pourra finalement revenir au moment de la péridurale, puis assistera à l'accouchement dans "une salle très clean où tout semblait 'normal'". Un soulagement et "une bonne surprise", souligne Clémence. "Si j'avais été seule, j'aurais trouvé ça horrible. Après, si c'est fait pour la santé du bébé et de la mère, je n'aurais pas changé de maternité à la dernière minute, bien sûr. Mais à vivre, ça doit être très dur."
La voici lovée quelques jours dans un cocon préservé au sein d'un hôpital en surchauffe. Pas loin, il y a une cellule dédiée aux malades du coronavirus. Beaucoup d'agitation. Et des tentes installées devant l'établissement. De plus en plus nombreuses. Un climat de guerre. "Pendant tout mon séjour à la maternité, je n'ai pas allumé la télé. La seule chaîne dispo était une chaîne d'info en continu. Rien de plus stressant que de voir le décompte des morts en perpétuelle croissance chaque jour..."
La petite famille retourne finalement chez elle, passant d'une bulle à une autre. De retour à la maison, on apprend les nouveaux gestes, on tâtonne. Mais les jeunes parents ne peuvent pas faire passer leur nouveau-né de bras en bras, car les proches ne rendront pas visite au bébé par mesures de sécurité. "Ils ne le verront pas avant la fin du confinement. Evidemment, ça fait mal au coeur, mais elles et ils ont compris."
Grâce au télétravail, le cocon familial se crée d'autant plus rapidement. "Le fait que mon compagnon puisse 'assister' aux premiers jours de son enfant au-delà des 14 jours classiques est un réel avantage. D'ailleurs, on pense vraiment que le gouvernement devrait réfléchir à un congé paternité égal à celui de la maman, en post-natal au moins. Les pays scandinaves sont un bel exemple à suivre."
Les visites de la sage-femme sont rythmées par les gestes-barrières : du gel, la distance de sécurité, la désinfection des surfaces. Le virus ne doit pas s'immiscer dans le foyer, même si le risque pour les nourrissons s'est avéré quasiment nul.
Comment Clémence et son compagnon raconteront-ils sa naissance à cet enfant né dans ce monde chamboulé ? "C'est tout bête mais sur les premières photos qu'on lui montrera quand il sera en âge de comprendre, il faudra lui expliquer pourquoi il n'y a personne autour de lui...", soupire la jeune mère. "On lui expliquera ce qui s'est passé partout, pas simplement en France. On essaiera de ne pas dramatiser. Et on lui expliquera qu'on n'avait pas le choix et que c'était pour la santé de tout le monde. Etre libre, c'est bien, mais être en bonne santé, c'est ce qui prime avant tout."