"Partout, les danseuses noires doivent mettre la main au porte-monnaie pour acheter des fonds de teint bon marché pour 'peindre' leurs pointes", écrit Briana Bell, danseuse classique noire de 18 ans. "Peindre", ou "pancaking" selon l'argot anglais, signifie recouvrir ses chaussons du liquide normalement destiné au visage, afin de les faire correspondre à leur teint de peau. Une astuce chronophage et qui ne concerne pas les danseur·se·s blanc·he·s, pour qui "les chaussons de ballet en satin rose sont faits", déplore la jeune femme.
Pour venir à bout de ce fardeau, elle appelle les marques d'équipements à revoir la diversité de leurs produits, et partage une pétition originellement créée par Megan Watson. "Peu de fabricants proposent des chaussons de pointe foncés", écrit cette dernière sur le site Change.org. "Non seulement il y a très peu de diversité dans la danse classique elle-même, mais ce qui aggrave le problème, c'est qu'il y a souvent une diversité nulle dans les nuances des chaussons. Si vous ne portez pas la même couleur de chausson, vous avez automatiquement l'impression de ne pas être à votre place."
Elle vise une marque en particulier : Capezio, qui permet aux pratiquant·e·s de la discipline d'obtenir des modèles abordables, explique Briana Bell, et des magasins "où je peux aller pour faire ajuster correctement mes pointes", et donc danser en toute sécurité.
"Les ballerines noires ont constamment été écartées du monde du ballet typiquement et traditionnellement blanc parce que nos corps ne sont pas comme les leurs", condamne Briana Bell. "C'est juste une autre façon de nous faire sentir indésirables !"
Dans une interview pour Good Morning America, elle témoigne du caractère grotesque du rituel auquel sont forcé·e·s de s'adonner les danseuses et danseurs racisé·e·s :"Ce n'est que récemment que des efforts ont été faits dans le domaine des collants, des justaucorps, des ballerines", précise-t-elle. "De toutes les nombreuses paires de collants que j'ai acquises au fil des ans, je peux honnêtement dire que seulement une ou deux correspondent à mon teint de peau et je les ai eus cette année". Elle ajoute que les pointes sont loin derrière. Le milieu est déjà coûteux, "devoir 'crêper' ses pointes en plus de tout cela... c'est ridicule et cela pourrait être évité".
Des propos que Misty Copeland, la première et la seule danseuse principale noire de l'American Ballet Theatre, soutient. "Il y a tellement de messages sous-jacents et subliminaux qui ont été envoyés aux gens de couleur depuis la création de la danse classique", résume-t-elle au média Today. "Lorsque vous achetez des chaussons de danse ou des pointes, et que la couleur s'appelle le Rose européen, je pense que cela en dit long aux jeunes - que vous n'appartenez pas [à ce milieu], que vous n'êtes pas à votre place, même si cela n'est pas assumé".
En quelques semaines, la pétition a récolté plus de 300 000 signatures. Assez pour attirer l'attention de la marque ciblée, Capezio, dont le PDG Michael Terlizzi a assuré prendre en compte les nombreux commentaires. "Nous avons entendu le message de notre communauté de danse locale qui veut des chaussons de pointe qui reflètent la couleur de leur peau, et maintenant nous allons offrir nos deux styles de chaussons de pointe les plus populaires, dès l'automne 2020, dans des nuances plus foncées", écrit-il sur Facebook.
Une décision qui sera copiée par Bloch, autre label grand public, dès l'automne également, et qui rejoint les efforts de Gaynor Minden et Freed London, dont les gammes proposent des teintes de pointes foncées depuis 2016 et 2018. Mieux vaut tard que jamais.