La colère a parfois des raisons que la raison ignore. Surtout quand elle émane des enfants. Mécontentement, réaction à une injustice, quête d'attention, "caprice" peut-être trop mésestimé... Tout ce qui se pousse nos chères petites têtes blondes à se fâcher tout rouge nous dépasse volontiers - et se heurte parfois à notre trop rude impatience. Mais comment accueillir cette colère par-delà l'autorité parentale et son cercle ? Quelle place doit-elle occuper dans les crèches, par exemple, qui bien souvent fait office de second chez-soi pour les plus petits ? C'est une question d'utilité publique.
Et nombreux·ses sont celles et ceux à tenter d'y répondre aujourd'hui. Certain·es y vont de leurs théories détaillées sur le comportement des bambins, d'autres préfèrent proposer des solutions un peu plus concrètes. C'est ce que démontre cet article des"Pros de la petite enfance", le premier site d'information pour les professionnels de ce domaine, qui relève une hypothèse de plus en plus popularisée : et si on instaurait des "coins colère" pour les enfants furax, constitués (par exemple) de coussins et de jouets sur lesquels se défouler ? Des espaces qui, dans les crèches, seraient justement dédiés à ces humeurs volcaniques. Une solution qui suscite la curiosité.
Et semble même enthousiasmante. Et pourtant, cette évocation est peut-être plus problématique qu'il n'y paraît...
Sur le papier pourtant, l'idée d'un tel emplacement paraît limpide. Certains sites spécialisés, comme l'espace parental Papa Positive, n'hésitent d'ailleurs pas à vanter les vertus d'un "coin colère" ou d'un "coin émotionnel" instauré et personnalisé par l'enfant. Le choix d'un espace précis permettrait à celui-ci d'associer son attitude impulsive à quelque chose de matériel, de concret. L'idéal, pense le site, pour mieux gérer ses excès.
Le "coin colère" ne consisterait donc pas donc à renvoyer un enfant "au coin !", comme l'énonce l'expression d'usage. Mais à choisir un endroit bien précis. D'autres blogs familiaux, comme Happynaiss (dédié à la parentalité) proposent une alternative quasiment similaire : le "coin calme". Adultes comme enfants pourraient s'y rendre pour apaiser leurs humeurs. L'idée, en changeant les termes, serait d'éviter de parler du problème, mais d'insister sur la solution : on s'y rend non pas pour exprimer sa colère, mais pour retrouver son "calme"...
Des notions charmantes mais contre-productives, à en croire les Pros de la petite enfance. Observant que certaines crèches n'hésitent pas à instaurer des "coins colère" au sein de leur structure, et assurant même que cette pratique "est de plus en plus répandue", le site nous explique en deux mots pourquoi cette initiative est LA fausse bonne idée. "Coin" aménagé ou pas, l'instaurer revient à isoler l'enfant. Au risque de rompre une dialogue qui lui permettrait, justement, de mieux assimiler les raisons de sa rage, et ainsi de nuire à son développement.
"Quand on propose à un enfant d'aller exprimer sa colère dans un espace dédié, on n'a rien résolu. On a utilisé le symptôme de l'enfant pour le dévier. Or ce n'est pas le symptôme de l'enfant qu'il faut soigner, mais la cause", explique d'ailleurs la docteure en psychologie Josette Serres. Pas de quoi révolutionner l'éducation, donc. Au contraire, poursuit Josette Serres, un "coin colère" reviendrait à freiner la "nécessaire expression" de ces émotions fortes, notamment libérées dans des situations de stress, d'incertitude tenace et d'angoisse.
Mais cela reviendrait également à faire l'impasse sur les vertus de ces fureurs enfantines. Celles des petites filles par exemple, qui pour l'autrice Soraya Chemaly seraient avant tout une manière d'externaliser une anxiété et une nervosité étouffantes. Il ne faut pas l'ignorer car bien employée, assure l'essayiste américaine, la colère peut devenir une force et un véritable outil pédagogique.
L'impact de ces espaces réservés, quant à lui, reste encore à prouver. Qu'à cela ne tienne : si l'organisation des crèches correspond à des problématiques bien spécifiques, nombreuses sont les animatrices et animateurs de la petite enfance à partager leurs "tips".
Du côté du blog de Viviane, par exemple, on préconise un rapport plus ouvert à l'enfant, en lui laissant le choix. Non pas celui du "coin colère", non, mais celui du "lieu du retour au calme", nuance. "Ce lieu peut être envisagé de multiples manières, et bien entendu, en fonction de l'espace qu'on a. Il est nécessaire pour l'enfant de retrouver son moment de calme et quelle que soit l'émotion qui a pu le traverser. C'est un endroit à lui, un espace qu'il va pouvoir construire, avec ou sans l'aide des adultes, un espace où il pourra se retrouver seul, avec lui-même, se recentrer et s'ancrer", développe l'animatrice, qui propose de mettre à disposition de l'enfant des coussins, peluches, feutres et autres jouets . Et pourquoi pas ?