En amitié, la première rencontre est toujours compliquée. On ne sait pas vraiment à qui on a affaire, ni où ça va nous mener. Un peu comme lors d'un premier rendez-vous, mais sans baiser langoureux entre deux portes cochères après le dessert.
On peut rencontrer de nouveaux ou nouvelles ami·es par le biais d'une relation commune, dans un cadre professionnel ou académique, et même complètement par hasard dans la rue. On est rarement prête, et on veut donc se montrer sous son meilleur jour. Comprendre sympa mais pas lourde, intéressée mais pas oppressante. Un vrai défi.
En rentrant chez soi, on se repasse quasiment toute la discussion point par point en se demandant si on n'a pas grillé nos chances de liens indéfectibles en évoquant la rediff' de Titanic de manière trop enthousiaste, ou éloigné l'autre à tout jamais en avouant ne pas comprendre les adeptes du chocolat blanc (qui se résume à du beurre au sucre, soit dit en passant).
Bref, on n'est pas tendre avec soi-même, et on anticiperait presque un foirage amical complet en s'auto-flagellant de ne pas avoir été plus cool. Une bonne petite soirée de dépréciation maladive - et surtout complètement infondée - en perspective.
Car d'après une étude récemment publiée dans le magazine Psychological Science, on se planterait de A à Z sur la première impression qu'on laisserait aux gens. Il se trouverait même qu'ils et elles nous aiment plus que ce qu'on pense. Gus Cooney, psychologue social de l'Université Harvard, et co-auteur du rapport avec Erica Boothby, chercheuse de l'Université de Cornell, a décidé de se pencher sur le sujet après avoir réalisé qu'il en était le premier cobaye.
"J'ai toujours ce soupçon sournois que peut-être mon interlocuteur ne m'aimait pas ou n'aimait pas ma compagnie autant que je l'aimais ou appréciait sa compagnie", explique-t-il avoir pensé. "C'est juste moi ? Ou est-ce que ça arrive à tout le monde ?"
Les chercheur·ses ont ainsi installé deux par deux plusieurs sujet·tes qui ne se connaissaient pas et se parlaient pour la première fois, puis ont récupéré leur ressenti après l'interaction. Bilan, chacun·e avait le sentiment de ne pas avoir été à la hauteur, et jugeait l'autre beaucoup plus appréciable que sa propre personne.
"Nous ne savons pas ce que pensent les autres et nous substituons donc l'image que nous avons de nous-mêmes à celle qu'ont les autres de nous", explique Gus Cooney. "Nous projetons ce que nous pensons de nous, et supposons que c'est ce que les autres pensent aussi".
On serait donc beaucoup plus exigeant·e envers notre propre comportement que celui des autres - parce qu'on l'observerait peut-être davantage. Un manque de confiance en soi teinté d'une pointe de narcissisme qui nous persuade que l'autre aura remarqué les détails insignifiants que l'on ne supporte pas chez nous. Alors qu'en réalité, il ou elle aura juste relevé les points positifs sans faire un décryptage approfondi de notre personnalité en trois parties.
Au-delà de nous encombrer l'esprit d'une angoisse déraisonnable, ce mécanisme nous place aussi automatiquement en position de vulnérabilité par rapport à l'autre, au lieu d'établir un rapport d'égalité sain. Ce qui n'est jamais idéal pour entamer une relation, quel que soit son statut.
Gus Cooney conclut en conseillant de se méfier de la petite voix qui nous torture le cerveau, ce démon du doute qui s'installe trop souvent dans notre tête et pourrait nous faire louper des moments simples et joyeux. Et on plussoie plutôt deux fois qu'une.