On pourrait presque parler de féminisation à deux vitesses : d'un côté, les entreprises championnes de la parité, de l'autre celles qui ne laissent toujours pas les femmes accéder aux plus hautes fonctions, et ce malgré la loi.
C'est ce que met en lumière l'étude annuelle de l'Observatoire Skema sur la féminisation des grandes entreprises françaises. Son directeur, Michel Ferrary, a passé au crible les Conseils d'administration et les Comités exécutifs de 62 entreprises cotées en bourse.
Résultat : si les femmes sont de plus en plus nombreuses à siéger dans les Conseils d'administration (loi Copé-Zimmerman oblige), elles peinent à trouver leur place au sein des Comités exécutifs des entreprises, encore majoritairement masculins.
En se basant sur les rapports annuels de ces grandes entreprises tricolores, l'Observatoire Skema note qu'en 2015, les Conseils d'administration sont composés à 35,64% de femmes. Toutefois, souligne-t-il, l'augmentation du nombre de femmes dans les Conseils d'administration résulte plus de la création de nouveaux postes d'administratrices que du remplacement des hommes par des femmes. Cet accroissement est le résultat naturel de l'entrée en vigueur en janvier 2017 de la loi Copé-Zimmerman, qui impose aux grandes entreprises un quota de 40% de femmes minimum dans leur Conseil d'administration. La loi "a joué le rôle d'ascenseur législatif", analyse pour L'Expansion Michel Ferrary, professeur de management des ressources humaines à l'université de Genève et chercheur affilié à Skema Business School.
En revanche, souligne l'étude, les Comités exécutifs restent majoritairement masculins : seules 11,59% de femmes y ont fait leur entrée. 17 entreprises ne comptent toujours aucune femme dans le ComEx ; 18 n'en comptent qu'une seule. En cause : "l'irréductible plafond de verre supérieur" qui empêche les femmes cadres (31,69% des effectifs en moyenne) d'y accéder.
"On pourrait penser [que la féminisation des entreprises s'est améliorée] explique Michel Ferrary. Mais l'analyse fine des donnes nous montre que ce n'est en réalité pas le cas puisque les femmes restent sous-représentées dans les bastions masculins que sont les Comités Exécutifs, dont la diversité hommes/femmes est laissée au libre arbitre des dirigeants".
À y regarder de plus près, pourtant, la situation est très différente suivant les entreprises. L'Observatoire Skema les a classées selon quatre catégories :
- Les championnes de la diversité : il s'agit des entreprises dont les pourcentages de femmes sont à la fois supérieurs dans les Conseils d'administration et les Comités exécutifs. Engie, Sodexo, L'Oréal et Publicis sont incontestablement les bonnes élèves du rapport.
- Les machistes contrariées : le pourcentage de femmes dans leur Conseil d'administration est supérieur à la moyenne mais celui des femmes dans le Comité Exécutif est inférieur, voire nul. Altran, Vivendi, Technip et Eiffage font partie de cette catégorie de réticents à accroître la diversité s'ils n'y sont pas contraints par la loi.
- Les irréductibles machistes : les pourcentages de femmes dans deux instances de gouvernance sont inférieurs à la moyenne. C'est le cas de LafargeHolcim, d'Airbus et de Carrefour.
- Les potentielles championnes de la diversité: chez Orange, Dassault systemes et Saint Gobain, le pourcentage de femmes au Conseil d'Administration est inférieur à la moyenne et le pourcentage de femmes au Comité exécutif est supérieur à la moyenne. L'application de loi Copé-Zimmermann devrait faire basculer certaines de ces entreprises dans la catégorie des championnes de la diversité.
Aussi rétives soient certaines entreprises à se féminiser, elles auraient pourtant tout à gagner à laisser davantage de femmes siéger dans leur Conseils d'administration et leur Comité exécutif. Selon le rapport Skema, la mixité en entreprise améliore la performance en participant aux bons résultats stratégiques, économiques et réputationnels de leur entreprise. Recruter plus de femmes permet non seulement de s'ouvrir à de nouveaux talents et donc de mieux comprendre les attentes des clients (market intelligence), ainsi que d'améliorer la relation commerciale (B to B et B to C). De plus, note le rapport, la promotion de femmes managers constitue un facteur de motivation pour l'ensemble des femmes de l'entreprise. Plus une entreprise compte de femmes cadres parmi ses managers, plus sa rentabilité opérationnelle sur cinq ans augmente.