C'est un premier album dont l'intitulé résonne comme une promesse ou un souhait : If I Could Make It Go Quiet - "Si je pouvais faire en sorte que ça se calme". Ce "ça" dans l'univers de l'artiste norvégienne Marie Ulven désigne le monde et la confusion sentimentale, mais aussi un plus grand chaos encore, celui de l'esprit. Autrement dit, l'univers intérieur de cette jeune chanteuse plus connue sous le nom de girl in red. Lettres minuscules only, oui.
Ce nom ne doit pas vous être tout à fait étranger. Cela fait déjà quelques années que la fille en rouge bouscule les plateformes de streaming et de vidéos - près de deux millions d'abonné·e·s sur YouTube - avec ses morceaux euphorisants et ses clips d'une beauté mélancolique toute aérienne. La pureté, aussi bien recherchée dans ses sons que dans les images qui les accompagnent, côtoie chez cette musicienne indie pop très concernée par la santé mentale quelque chose de plus destructeur et douloureux, d'explosif.
Un mix dont If I Could Make It Go Quiet, sorti en avril 2021, est la quintessence. Il y est question d'amour de minuit et de "stupid bitch", de souvenirs flottants et de sérotonine. Avec sa musique, l'artiste de 22 ans est parvenue à concilier le feu du désir amoureux et un mal-être très générationnel.
Portrait d'une grande spleenétique.
Comment avoir un idée du style Ulven sans y avoir jamais goûté ? En s'immergeant dans le clip de We Fell in Love in October (2018), carton aux 43 millions de vues. La vidéo ressemble à une romance de cinéma indé et la musique, au diapason, saisit avec justesse le parfum doux-amer des flirts éphémères. La voix de la chanteuse résonne comme dans un souvenir. Le ton oscille entre rythmique folk entêtante et intimisme vaporeux. On comprend le succès de ce petit film phénoménal.
D'autant plus si l'on s'attarde sur les près de 50 000 commentaires venus accueillir cette mise en ligne. Des voix anonymes qui érigent volontiers la mystérieuse girl in red en étendard : avec un son comme celui-ci, l'artiste délivre une illustration marquante des relations lesbiennes. Elle devient une véritable icône queer.
"Queer" est d'ailleurs un mot qu'elle privilégie à "lesbienne" quand on l'interroge sur son orientation. Un statut qu'elle revendique comme un slogan. Depuis la parution son premier EP logiquement intitulé Chapter 1 en 2018, l'artiste au pseudonyme minuscule a fait de cette fierté LGBTQ une lutte capitale. Dans son autre grand hit sorti la même année, Girls (tout est dans le titre), les rainbow flags sont brandis face caméra.
"Je pense que dans les 40 prochaines années, nous observerons une grande différence par rapport au coming out", affirmera la principale concernée au Guardian. Marie Ulven croit en un déclin de l'homo (et lesbo)-phobie et en un monde où le coming-out ne sera plus nécessaire. L'une de ses intentions est de "normaliser la queerness".
"Elles sont si jolies, ça fait mal / Je ne parle pas de garçons, je parle de filles / Elles sont si jolies avec leurs chemises boutonnées !", clame-t-elle dans cet hymne aux trente-huit millions de vues - et au visuel VHS-rip gentiment rétro. Mais dans cette ode faussement insouciante, elle affirme aussi : "This is not a phase". N'en déplaisent aux voix autoritaires qui n'envisagent en le lesbianisme ou la bisexualité qu'une "période".
Un hymne qui cartonne à l'unisson sur les plateformes de stream, là-même où elle a débuté sa carrière. C'est sur Soundcloud et sous le nom de Lydia X que la jeune norvégienne a mis en ligne en 2015 ses premiers morceaux, avant de rapidement trouver son style - et son nouveau blaze l'année suivante. Aujourd'hui, se réjouit le Guardian, elle est devenue une reine sur des réseaux comme TikTok, où poser la question "Ecoutez-vous girl in red ?" fait office de message codé. La vraie interrogation étant : "Etes-vous lesbienne ?".
Aussi iconique qu'une jeune fille en feu.
Le "Premier Chapitre" de girl in red est déjà celui de la consécration. En cette année 2018 où la chanteuse sort deux EP, le New York Times la case dans son classement musical annuel. Pendant ce temps, la native de Horten (une ville située dans le fjord d'Oslo) s'exerce à finir ses années-lycée. Sa communauté ne fera que croître. Il faut dire que celle qui n'a rien d'une rockstar cultive une relation de proximité avec son audience.
Depuis les prémices de sa discographie en 2016, la norvégienne a aussi bien puisé dans son sentimentalisme sincère (I Wanna Be Your Girlfriend) que dans sa mélancolie qui confine au vertige (Summer Depression) pour bousculer les charts. C'est ce second point qui dénote. Une chanson après l'autre, girl in red confesse sans détour ses angoisses. Elle évoque ses doutes, ses troubles et ses regrets, met en couplets l'impression de dérive éprouvée par celles et ceux qui l'écoutent - surtout quand leur orientation sexuelle semble dévier de "la norme".
Dans If I Could Make It Go Quiet, elle parle autant de l'amour de soi que de ce qui hurle à l'intérieur d'elle, de l'ennui de sa vie solitaire au besoin d'affection qui meurtrit les âmes confinées quand les nuits s'éternisent. En somme, girl in red parle autant de la nécessité d'aimer que de celle de s'aimer. Tant et si bien que le magazine Rolling Stone compare ses balades méditatives à celles de Billie Eilish. La jeunesse a du talent.
L'analogie avec l'interprète de My Future n'est pas si anodine. Sur ce premier album, l'Oslovienne a effectivement collaboré avec Finneas, musicien, co-auteur et accessoirement frère de Billie Eilish. Ce dernier a produit son morceau le plus punchy, Serotonin. Les deux jeunes femmes semblent bien décidées à déboulonner les tabous autour de la santé mentale en propageant de bonnes ondes à leur audience. Dans leurs créations, une forme de vulnérabilité déstabilisante côtoie toujours une force qui palpite, un élan fédérateur qui fait vibrer.
"Mon album est une tentative d'apprentissage par rapport à ce 'qu'être humain' signifie. Je me confronte aux aspects les plus terrifiants de mon être, met en lumière les parties les plus sombres de mon esprit, et laisse la porte ouverte à tous et à toutes", développait encore la chanteuse à Rolling Stone. Pour girl in red, créer consiste à "parler de la souffrance ressentie à l'idée de savoir que l'on est juste de la chair et des os".
Une souffrance qu'elle transforme miraculeusement en une insaisissable impression d'apaisement. La musique planante de girl in red, artiste constamment à fleur de peau, ne se contente pas simplement de nous toucher, non, elle nous réconforte. C'est là son super-pouvoir. Et vous feriez mieux d'y succomber.