Jusqu'à ce que des compagnies apparemment avides de complexer davantage les femmes à propos de leur corps s'en mêlent, notre vagin allait bien. Il vivait sa vie peinard, au gré de nos cycles et de nos rapports sexuels fréquents ou occasionnels quand ils avaient le mérite d'exister. Il ne demandait rien à personne, si ce n'est une douche quotidienne avec un peu d'eau chaude au niveau de sa partie externe (et à la rigueur un savon adapté) ou un check-up médical en cas de sensations ou de pertes inhabituelles.
Pas franchement sorcier, on en convient.
Et puis, ils ont commencé à débarquer. Les produits en tout genre soi-disant dédiés à notre hygiène intime. Des crèmes, des brosses, des soins hydratants, des bains de vapeur que l'on serait censé·e·s appliquer ou laisser diffuser à l'intérieur. Des astuces pour que la zone sente la fleur, aussi. Une ribambelle d'arnaques, qu'on se le dise, au packaging souvent ultra-kitsch, malaisant, ou simplement rose car on le sait bien : c'est la couleur des filles. Et tout ce qui les concerne se doit d'être dans le ton, littéralement.
A ce sujet d'ailleurs, ce que les esprits derrière ces gammes semblent totalement ignorer - volontairement ou non, on ne préfère pas deviner - c'est que les personnes qui possèdent un vagin ne sont en réalité pas TOUTES des femmes. Mais également des hommes trans et des personnes non-binaires.
Pourtant, sur les emballages, c'est plutôt clair : "elle" est le seul pronom mentionné pour créer dans la tête des consommatrices un besoin inutile et, par bien des aspects, problématique.
Alors attention, on ne critique en aucun cas l'existence de lubrifiants conçus pour nos ébats, ni de baumes approuvés gynécologiquement qui viendraient soulager un inconfort. Non, ce qu'on a dans le viseur, ce sont les marques toujours plus nombreuses qui se font de l'argent sur une culpabilisation sournoise des femmes et de leurs attributs biologiques.
On pense aux spas vaginaux, cette certaine idée de l'enfer qui propose des soins raffermissants pour les lèvres dans un boudoir poudré. Ou à Goop, le blog-devenu-empire-self-care de Gwyneth Paltrow. A sa douche vaginale et à sa bougie "This Smells Like My Vagina" qui sent en réalité... "le géranium, la bergamote citronnée et le cèdre juxtaposés à des graines de rose de Damas et d'ambrette". Idéal pour faire croire à celleux dont l'endroit ne s'apparente pas à un voyage olfactif chez Sephora que quelque chose cloche.
Et qu'il faut raquer pour que ça change (60 euros pour la bougie, en l'occurrence).
Dernier en date à nous assurer qu'on doit dépenser un bras dans une lotion pour choyer notre "vajayjay" (vomir) ? Le très gênant savon pour vulve "Down There Wash" de chez Goodwash. Rien que son nom nous file des frissons et pour cause, à l'instar du sobriquet qu'on a employé plus haut pour souligner le ridicule de la manoeuvre, il contribue à véhiculer l'idée qu'appeler une chatte une chatte, c'est vulgaire.
Mais "Down There", "en bas" en français, est seulement la partie émergée de l'iceberg.
En regardant plus près sur la notice de la bouteille, on a pu remarquer une tonne de références enfantines ou très clairement embarrassantes à nos organes génitaux. "Hoo-ha", "little V" : des mots qu'on pourrait traduire par "minette", "zézette", "foufoune" et autres appellations inappropriées pour un savon qui cible des adultes.
Interviewé par Causette en 2017 sur la propension des grandes personnes à utiliser des termes gamins pour parler de la vulve et du vagin, le linguiste Alain Rey analysait : "la dérision ou la description négative du sexe féminin, c'est le signe que la langue française est extraordinairement antiféministe."
CQFD.
Ce qui nous sort surtout par les yeux, c'est la façon dont Goodwash et les autres insinuent que sans leur formule, on risque le pire. "Le vagin (interne) est une machine magique autonettoyante, mais la vulve (externe) est une toute autre chose", peut-on lire au dos du flacon. "Un produit inapproprié peut perturber son pH naturel, ce qui entraîne une peau sèche et des démangeaisons, des infections urinaires, des mycoses, des odeurs".
Si rien n'est faux dans cette description, présenter "Down There Wash" comme le moyen de s'en protéger ou, implicitement, de s'en débarrasser, est tout simplement mensonger. Voire dangereux.
"Quand il s'agit du vagin, si vous n'avez pas de problème, ne créez pas de problème", prévient auprès de Refinery29 Mary Jane Minkin, gynécologue à la faculté de médecine de l'université de Yale. "Tout ce que vous utilisez sur la vulve peut facilement pénétrer dans le vagin [qui est] super-sensible, donc ce que contient le produit a de l'importance - comme le parfum." Parfum présent dans le produit, ça va sans dire.
En fait, en 2021, on aimerait juste que ces boîtes - et leurs propriétaires influent·e·s - ne dépensent plus des millions en marketing pour nous détraquer le cerveau, en jouant sur nos insécurités et le sexisme ambiant qui gangrène la société. Que nos sexes comme notre plaisir ne soient plus considérés comme "sales", que l'on ne soit plus enjoint·e·s à dégager une odeur délicate, révélatrice de clichés rétrogrades et réducteurs.
Surtout, on aimerait souligner le double standard flagrant entre les messages qu'on fait passer aux femmes et ceux qu'on ne fait pas passer aux hommes. Est-ce qu'on voit des soins en parapharmacie dédiés aux porteurs de pénis pour que celui-ci sente la menthe ? Non. Chris Martin se trimbale-t-il sur Internet en recommandant à ses abonnés de se faire un gommage du gland avec des graines de courge pour que sa peau soit plus douce ?
En tout cas, pas à notre connaissance. Et tant mieux. Sauf que si eux, ont le droit d'être tranquilles, on réclame l'égalité : nous aussi, on veut qu'on nous foute la paix. Aujourd'hui, après cette énième démonstration biaisée, le cri vient du fond du coeur : lâchez-nous le vagin. Et vous verrez, tout ira bien.