Société
INTERVIEW - Lisa Azuelos : "la paix du monde commence par la paix entre le féminin et masculin"
Publié le 8 mars 2016 à 12:24
Par Adèle Bréau | Ex-directrice de Terrafemina
A l'occasion de la Journée de la femme, Lisa Azuelos a bien voulu répondre à nos questions. Très impliquée dans la lutte pour les droits des femmes dans le monde, la réalisatrice lance par ailleurs l'association "Ensemble contre la gynophobie", pour dénoncer l'hostilité envers les femmes parce qu'elles sont femmes.
Lisa Azuelos au festival du film de Monte-Carlo le 27 novembre 2008 Lisa Azuelos au festival du film de Monte-Carlo le 27 novembre 2008© BestImage
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Terrafemina : Vous fondez l'association " Ensemble contre la gynophobie ", et cherchez à faire émerger ce mot définissant " l'hostilité, explicite ou implicite, envers les femmes parce qu'elles sont femmes ". Quelle différence y a-t-il avec le sexisme, le machisme ou la misogynie ?

Lisa Azuelos : Si l'on reprend les définitions : le sexisme est une " attitude discriminatoire adoptée en raison du sexe ", le machisme, serait de croire que les femmes seraient inférieures aux hommes dans tous les domaines. Le plus proche de la signification de la gynophobie est le mot misogyne car étymologiquement il signifie "haine des femmes". Mais voilà, a mon sens, aucun de ces mots n'ont su protéger les femmes et tracer un cordon de sécurité autour de ce qui est acceptable. Prenons, par exemple le mot de misogynie, on peut, sans problème vouloir nous présenter un bon copain " tellement sympa mais un peu misogyne ". Ca va passer. En revanche, ce même copain tellement sympa mais raciste, homophobe... ça va être plus compliqué de tomber sous le charme. Les mots sexisme, machisme, misogynie portent tous des combats anciens et il me semble que gynophobie car il est neutre d'une histoire de lutte féministe peut vraiment changer la donne. De plus, on ne peut pas qualifier de sexiste, ni même de misogyne des actes comme les mutilations génitales, ou un mariage forcé. Réhabilité dans son sens premier, le mot misogyne me paraissait plus compliqué et dépassé que de faire vivre ce nouveau mot de gynophobie. Les autres mots me semblaient trop politisés, galvaudés ou souffrant d'un usage qui n'a plus rien avoir avec leur sens ethnologique. D'où la naissance aujourd'hui de la gynophobie.

Tf : Pourquoi ce terme est-il si peu usité, selon vous, alors que ceux d'homophobie ou de xénophobie sont complètement passés dans le langage courant ? Comment vous est venue l'idée de le " réhabiliter " ?

L. A. : Il m'est venu l'idée de créer ce mot, tout simplement car il y a un an à la suite d'une conférence, je me suis rendu compte qu'il n'existait pas de mot pour qualifier les violences, toutes les violences que subissent les femmes partout dans le monde. Tout le spectre des violences n'était pas contenu dans un mot. Et l'on sait bien que tout ce qui n'est pas nommé, n'existe pas. Le mot de gynophobie est tombé en désuétude, malgré le fait qu'il existe sur internet et wikipedia, mais pas encore dans les dictionnaires. Il me semble que ce mot est très clair et compréhensible. Il signifie la peur, la haine, le rejet de la femme dans son ensemble car elle est femme sur le même modèle que l'homophobie. La gynophobie peut englober le fait de se faire traiter de sale pute dans la rue – comme ça vite fait – à la lapidation ou excision.

"Chaque année de perdue, c'est 14 millions de petites filles mariées de force"

Il peut sembler superflue de créer un mot, mais souvenons-nous, la politique raciale de discrimination en Afrique du Sud de 1948 à 1991 a été abolie en partie parce qu'il existait un mot, " apartheid ". Il faut qu'aujourd'hui, créer la même chose avec la gynophobie.

TF : A travers votre association, vous voulez créer " un mouvement mondial afin de qualifier et dénoncer tous les actes de gynophobie par le biais de films, de livres, de conférences ". pouvez-vous nous en dire plus ?

Le 8 mars à l'occasion de la Journée International des Droits des femmes, j'ai lancé la plateforme nogynophobie.org . Une plateforme artistique qui va regrouper tout ce qui se fait comme vidéos, photographies, textes qui dénoncent la gynophobie par tout dans le monde. Chacun pourra y poster du contenu et qu'il soit visible par tous et tout le temps. Je suis sure que l'art peut faire bouger les choses et changer les mentalités. Je lance également un concours de courts-métrage, " Pour vous c'est quoi la gynophobie ? " avec Pathé et la fondation Kering comme partenaire. Des films de moins de 5 minutes dont le vainqueur recevra un prix lors du prochain Festival de Cannes.

Tf : Les artistes seront-ils sollicités ? De quelle manière ?

L.A. : Je fais former un jury de personnalités du monde du cinéma, des amis du milieu qui vont m'aider à choisir le meilleur film sur la gynophobie. Mes amis du cinéma vont m'aider à porter ce mot et lancer avec moi le mouvement #nogynophobie. Je ne veux évidemment pas que cela soit uniquement une histoire de campagne de communication avec #, mais le début d'un vivre ensemble, d'un mouvement main dans la main d'hommes et de femmes qui pensent comme moi que la paix du monde, commence par la paix entre le féminin et masculin.

Tf : Et les femmes dans leur ensemble, que peuvent-elles faire pour lutter contre la gynophobie ?

L.A : Déjà, ne pas se taire. Ne plus se dire que les choses vont mettre un temps fou a évoluer. Chaque année de perdue c est 14 millions de petites filles mariées de force, des viols par millions.... J'ai voulu lancer mon association car je ne voulais plus par mon silence être complice de cette gynophobie ambiante.

Revoyez "14 millions de cris", l'excellent court-métrage de Lisa Azuelos pour dénoncer les mariages forcés, avec Julie Gayet :

© Youtube
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