« Le jour de mes 20 ans, les Allemands sont entrés dans Paris ». Madeleine, 92 ans, se souvient de ses années de jeune fille comme de celles où on a arrêté de porter du vert –la couleur de l’ennemi-, des années où on pensait moins à ce qu’on allait porter qu’à ce qu’on allait manger. « Il était devenu très compliqué de trouver à s’habiller, nous avions des cartes de tissu, rationné comme la nourriture », explique Marie-Suzanne, retraitée du même âge et éternelle coquette, qui mettait à profit ses talents de couturière pour recycler ses vieilles robes. Traumatisante pour les raisons qu’on sait, la guerre creuse un fossé entre deux époques, deux modes, d’où une nostalgie émue quand on aborde le look des années 30. Pour être chic, le chapeau était de rigueur, les gants aussi, et « les chaussures compensées à semelle de bois », un must si l’on en croit la tablée. Comble de l’élégance selon Simonne : assortir son manteau à son couvre-chef, mais tant d’apprêts étaient réservés aux sorties et aux weekends, car devant son patron, il s’agissait surtout d’être « correcte » et « présentable ».
« Il y avait les habits de la semaine –on ne se changeait pas, sauf les sous-vêtements -, et les habits du dimanche ». Simonne, secrétaire en mairie, a en plus enduré la blouse bleue fournie par l’administration, un uniforme qui ne plaisait pas vraiment à ces dames, mais qui était aussi imposé aux hommes. « Dans la vie professionnelle on était très exigeant sur la tenue vestimentaire » raconte Marie-Suzanne, retraitée des grands magasins parisiens : « toutes les employées et les vendeuses portaient des robes très strictes bleu marine jusqu’au genou avec un petit col blanc », et d’ajouter plus bas : « les tenues sont plus libérées aujourd’hui ». C’est à la Libération que tout bascule, « les Américains sont arrivés en nous apportant des tas de choses, le Coca-Cola, les cigarettes, les barres chocolatées, et les pantalons », explique-t-elle. La mode fait alors un bond irréversible, mais Marie-Suzanne n’a pas cillé : « je n’ai jamais porté de pantalon, mes filles, oui, mais moi jamais ! »
Pour Marie-Suzanne et ses corésidentes, la féminité et l’élégance se situent en dessous du genou. « Aujourd’hui la mode est moins féminine », dit l’une d’entre elles, « (les femmes) se dénudent plus facilement », réagit une autre en feuilletant le dernier numéro du ELLE Spécial lingerie. « On dirait qu’être féminine aujourd’hui, ça signifie être sexy », fait remarquer Martine, la fille aînée de Madeleine, « au lieu d’être conditionnées par la morale, les femmes sont conditionnées par la publicité ». De nouveaux codes pas forcément plus séduisants, pense Danièle, 70 ans : « si on en montre trop, il n’y a plus de découverte, or, la séduction passe par là… » Justement, la séduction, parlons-en.
Voilà peut-être une découverte que ces dames de grand âge pourraient nous envier, non pas la découverte de la sexualité –malgré la « Libération sexuelle », personne ne peut prétendre que les femmes ont plus d’orgasmes que dans les années 50-, mais la liberté d’en parler, enfin. Elles sont unanimes, aucune n’a eu cette discussion avec maman : « comment on fait ? », « c’est quoi les règles ? ». Pudiques, pas trop curieuses ni inquiètes, elles se contentaient des histoires de filles « plus évoluées sur la question », « on apprenait sur le tas ! », plaisante Marie-Suzanne, « le sexe ne faisait pas partie de nos conversations, et ce n’était pas un sujet essentiel dans le couple ». Danièle raconte que lorsqu’elle a rencontré son mari, elle était tellement ignorante sur la sexualité qu’il s’est moqué d’elle en lui disant qu’elle aurait pu tout de même se renseigner auprès de sa mère. Danièle s’est exécutée, en a parlé à sa mère, qui pour seule réponse lui a offert un livre sage au titre édifiant : « Eveil à l’amour ».
« De toute façon nous ne pouvions pas faire l’amour librement, il n’y avait pas la contraception », souligne Réjane, 82 ans. Certaines ont bien testé la méthode Ogino (par calcul des périodes d’ovulation) pour ralentir le rythme des grossesses, mais pour Madeleine, l’effort n’a pas été concluant : ses cinq accouchements en six ans l’ont épuisée. Pour elle, l’autorisation de la pilule (1967) fut une décision « merveilleuse », qui laisserait enfin le choix aux femmes. Elle confie ses regrets de ne pas avoir pu travailler, « à mon époque la femme au foyer stagnait pendant que l’homme découvrait plein de choses, j’aurais aimé avoir une vie sociale, j’aurais été plus épanouie, plus femme ».
Les « Ateliers Journée de la femme » ont été organisés par le groupe Maisons de famille dans plusieurs maisons de retraite d’Ile de France, entre janvier et mars 2012. Les résidentes ont été invitées à se réunir pour aborder les sujets autour de l’histoire des femmes et de la féminité.
Remerciements à Paule, Micheline, Colette, Sylvie et Gisèle pour leurs témoignages.
Crédit photo : Getty images
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