Sourire poli, attitude discrète... Sans doute la fatigue du vol Conakry-Paris, qu'elle a pris tôt dans la matinée, en vue de la Journée Internationale des droits des filles qui se tient ce jeudi 11 octobre. Kadiatou, 17 ans, est originaire de Guinée et se définit comme une "briseuse de mariage d'enfants".
Elle a grandi à Conakry, capitale de la Guinée, dans une famille de cinq frères. Son père est coordinateur de programme dans une organisation humanitaire, sa mère est douanière. Nous l'avons rencontré dans les locaux de l'ONG Plan International, à Paris.
À 15 ans, Kadiatou a intégré le Club des jeunes filles leaders de Guinée, une association à but non lucratif fondée en 2016 qui oeuvre pour la lutte des droits des jeunes filles. Son père l'a sensibilisée à cette cause dès son plus âge, elle qui a eu la chance de grandir au sein d'une famille "où je pouvais faire tout ce que je voulais".
Moins à l'aise quand il s'agit de parler de sa vie personnelle, elle rayonne dès qu'il s'agit d'évoquer sa lutte pour les droits des filles de son pays et les actions qu'elle entreprend avec son organisation pour leur offrir une vie meilleure. Son visage s'anime au son du mot "activisme". Elle nous explique :
"Nous intervenons dans des situations pour annuler les mariages. Nous avons deux manières de procéder : d'abord, on fait de la prévention, on enclenche tout un processus légal pour convoquer officiellement les parents qui veulent marier leur fille afin de leur rappeler qu'il existe une loi et qu'elle doit être appliquée. On leur fait signer des engagements et on les prévient qu'ils risquent la prison s'ils ne les respectent pas. Ensuite, si cela ne suffit pas, on agit et on fait appliquer la loi."
Grâce aux signalements orchestrés par les membres de l'association dont Kadiatou fait partie, une dizaine de mineures échappe aux mariages forcés chaque année.
"Nous faisons de notre mieux pour vulgariser cette loi, dans les émissions, dans les médias. Souvent, les parents nous disent qu'ils n'étaient pas au courant de la loi. Ça reste toujours l'argument avancé de la part d'un grand nombre d'entre eux, ce qui est un peu facile", remarque Kadiatou, loin d'être dupe.
En Guinée, 1 millions de jeunes filles sont menacées par le mariage précoce. Selon des chiffres de Plan International, 63 % des femmes mariées de 20 à 24 ans ont été mariées avant l'âge de 18 ans.
"On s'est dit pour que pour changer la donne, il fallait qu'on prenne la relève. Qu'on parte sur le terrain pour déployer des actions concrètes. Nous recueillons des informations et ensuite on essaye de discuter avec la fille que nous prenons en charge. On lui propose de nous rejoindre dans le club, mais bien sûr, elle n'a aucune obligation. En revanche, on lui dit bien qu'elle n'a pas le droit de faire n'importe quoi : si elle ne se marie pas, elle doit en revanche bien travailler à l'école, c'est très important", souligne Kadiatou.
Kadiatou a reçu une éducation libre et ouverte d'esprit. "J'ai commencé mes activités militantes avec mon papa. Au début, c'était une envie de relever un défi. Ensuite, c'est devenu une passion. En allant sur le terrain, j'ai compris que toutes les autres filles ont droit d'avoir la même vie que la mienne, c'est-à-dire d'aller à l'école, de décider, de diriger, de rêver et de s'épanouir", explique l'adolescente, qui prépare actuellement son baccalauréat et qui aimerait ensuite se diriger vers des études de sciences politiques ou d'administration des affaires.
"Mes activités me prennent du temps, mais j'ai fait un pacte avec mon papa : je fais ce que je veux, tant que je continue à aller à l'école. Dans ma famille, on m'écoute, on me laisse libre, mais bien sûr avec des limites", précise Kadiatou.
Depuis sa création, le Club des jeunes filles leaders oeuvre aux côtés de l'ONG Plan International qui soutient leur initiative et s'engage auprès d'elles. Lancée en février 2016, l'association a démarré avec 7 filles : "Aujourd'hui, nous sommes pratiquement 200 filles sur tout le territoire", déclare fièrement Kadiatou, qui participe à de nombreuses conférences ainsi qu'à des formations pour informer les jeunes filles des lois qui existent afin qu'elles soient plus concrètes dans leurs actions.
Les adhérentes du Club des Jeunes filles leaders sont âgées de 10 à 25 ans. "On a commencé avec les jeunes filles au Parlement des enfants de Guinée. Mais arrivées à un certain âge, elles quittent le parlement des enfants pour laisser la place à d'autres. Pourquoi leur âge devrait être une barrière pour collaborer avec nous ? Il fallait initier un club dans lequel elles se retrouvent toutes. Ce club permet à ces filles de s'illustrer dans les différentes luttes afin que l'on puisse évoluer de manière autonome avec elles", explique Bathouly, coordinatrice des programmes pour l'ONG Plan International Guinée.
À l'occasion de la Journée internationale des filles, le Club des jeunes leaders organise un tech-over, c'est-à-dire une intervention à l'Assemblée nationale de Guinée au cours de laquelle 11 jeunes filles se mettent dans la peau de députés pour lire un plaidoyer, en faveur d'une cause qui leur est chère : la défense des droits des filles par exemple.
Kadiatou va elle aussi participer à un tech-over mais à Paris, où elle prendra la place de la directrice générale de l'UNESCO et ancienne ministre de la culture Audrey Azoulay pendant quelques minutes.
Après son bac, la jeune femme ne prévoit pas de s'éloigner de ses activités militantes, bien au contraire. "Quel que ce soit le domaine d'activité professionnelle que je choisirai, j'aurai toujours pour vocation de me battre : je vais garder en moi ce côté de lutte et d'activisme. Parce que ma vocation, mon objectif à long terme c'est de voir évoluer toutes les filles comme moi, les voir s'émanciper. Quel que ce soit le prix à payer."