Sa reprise d’entreprise à 48 ans, Juliette Rapinat Freudiger la raconte comme un « concours de circonstances ». D’un côté, il y avait ce couple d’amis qui réfléchissait à la transmission de Loxos, la société qu’ils avaient fondée en 1991. De l’autre, elle-même, qui pensait à en reprendre une : « J’avais passé vingt ans comme cadre dirigeante dans de grandes entreprises, j’avais envie d’entreprendre, d’être mon propre patron, d’être libre. » La discussion entre eux, qui se connaissaient depuis bientôt 10 ans, devait donc forcément avoir lieu. « Nos objectifs concordaient, se souvient-elle. Le produit me plaisait. C’est une marque forte : dans le monde de la petite enfance, tout le monde veut un Loxos. »
En 2008, Juliette Rapinat Freudiger se lance donc dans la reprise de l’entreprise de meubles de change professionnels de ses amis avec l’aide de la Bpifrance. « Je ne voulais pas créer, repartir de zéro, insiste-t-elle. Je me sentais plus légitime à reprendre une société en bonne santé où je pouvais mettre à profit mon expérience de manager. » Mais, très vite, l’ancienne directrice générale d’Escada Beauty Group sent que certaines compétences risquent de lui manquer : celles d’architecte et de designer… Des qualités que son mari, lui, possède. « Je lui ai proposé de s’associer avec moi. Il a dit oui. Nous avions envie de faire les choses ensemble. Pour nous, c’était une nouvelle aventure. »
Un choix de couple qui, reconnaît Juliette Rapinat Freudiger, n’est pas toujours facile : « Il y a parfois des tensions. Il faut trouver un équilibre dans les rôles de chacun. L’entreprise prend beaucoup de place. Elle est devenue notre quatrième enfant. » Et avec trois filles de 12, 17 et 20 ans au moment de la reprise, on aurait pu croire que la conciliation entre vie pro et vie privée eut pu être plus compliquée. « Il faut faire attention à équilibrer nos vies, bien sûr. Mais j’ai surtout donné beaucoup d’autonomie à mes enfants. Je ne les ai jamais entendues dire que nous travaillions trop. De toute façon, ça a toujours été comme ça pour eux. » Ancienne directrice du marketing international chez l’Oréal, Juliette Rapinat Freudiger n’a en effet « jamais eu le sentiment » de sacrifier ses enfants ou sa carrière : « J’ai fait les deux, je me suis organisée, j’en avais envie et j’en avais les moyens. »
Aujourd’hui, cinq après la reprise de Loxos, l’entrepreneuse est satisfaite du chemin parcouru. « Des tas de projets se concrétisent : nous avons de nouveaux produits, de nouveaux marchés, de nouvelles équipes aussi. Même si forcément par rapport à ce que j’avais prévu, tout n’a pas été aussi simple. » Sa PME emploie désormais 25 personnes pour un chiffre d’affaires de quatre millions d’euros, un peu moins que ce qu’elle avait imaginé en 2008. « La vie d’une entreprise n’est pas linéaire, d’autant plus dans le cas d’une reprise. On pense que l’on va trouver quelque chose et ce n’est jamais tout à fait ça. Mais ce ne sont pas les échecs qui m’ont fait évoluer, plutôt la prise en compte d’éléments multiples. Il faut sans cesse se remettre en cause. »
Pourtant, la chef d’entreprise avoue ne rien avoir changé à sa façon de manager : « J’ai simplement mis en musique ce que j’avais appris à faire pendant toutes ces années comme salariée. » Une forme de management au féminin qu’elle estime plus « holistique » : « Dans leur carrière, les femmes sont confrontées bien plus longtemps que les hommes aux fonctions de management intermédiaire. Nous sommes donc moins dans l’autorité ou le purement technique. Nous développons une forme d’empathie, nous savons par exemple utiliser les échecs pour faire progresser nos collaborateurs. »
Une vision du management qu’elle a rarement l'occasion d'évoquer avec ses homologues féminines, préférant si elle « en avait le temps », s’investir dans un syndicat patronal plutôt que dans un réseau féminin. « Je ne pense pas que nous devons partager uniquement entre femmes. Quand j’ai eu besoin d’aide pour reprendre Loxos, je suis allée voir des entrepreneurs, pas des femmes. » C’est d’ailleurs ainsi que Juliette Rapinat Freudiger se voit donner des conseils aux futures entrepreneuses : « Les mêmes qu’aux hommes ! » : « Si l’on en a envie, que l’on a bien pris conscience de ce que cela impliquait dans la vie à deux et dans la vie tout court, alors il faut y aller ! Rien n’est interdit à une femme ! »