"Dieu crée les dinosaures. Dieu détruit les dinosaures. Dieu crée l'homme. L'homme détruit Dieu. L'homme crée des dinosaures", "Les dinosaures mangent l'homme... La femme hérite de la Terre". Répliques cultes mises à part ("Vous avez créé des raptors ?"), cet échange est l'une des fulgurances verbales les plus inoubliables du premier Jurassic Park, le classique de 1993 signé Spielberg.
Un dialogue mettant en scène le professeur Ian Malcom (Jeff Goldblum) et la Dre Ellie Sattler (Laura Dern), compagne du paléontologue Alan Grant. Il a suffi de ce dialogue réjouissant pour comprendre la teneur du personnage d'Ellie Sattler, paléobotaniste et détentrice d'un doctorat en ce domaine : une femme sûre d'elle, intelligente, badass, bousculant quelque peu la fourmilière aux côtés des figures d'autorité masculines qu'elle côtoie. Une femme iconique dans un parc blindé de dinosaures furibards et de mecs trop sûrs d'eux.
O joie : après plus de dix ans d'absence (sa dernière apparition datait de Jurassic Park 3 en 2001), la Dre Ellie Sattler est enfin de retour dans Jurassic World : le monde d'après, troisième opus d'une licence prolongeant la mythologie initiée par le romancier Michael Crichton et le cinéaste Steven Spielberg.
Un film qui rappelle pourquoi ce personnage importe autant dans la saga.
Et si Ellie Sattler était la véritable héroïne de Jurassic Park ? On est en droit de se poser la question. Dans le film de Steven Spielberg, c'est bien souvent elle qui prend des initiatives. Le professeur Alan Grant à l'inverse ne déborde pas de confiance, qu'il s'agisse d'évoquer le parc, ses recherches ou la parentalité.
Loin d'être reléguée au rang de "scream queen" (ces personnages féminins de films d'horreur hurlant et courant à tout va), et ce malgré la teneur angoissante des obstacles rencontrés (par exemple, la libération d'un T-Rex en mal de déjeuners), Ellie Sattler est un personnage vaillant, pragmatique et drôle - tant et si bien que sa répartie coupe d'ailleurs le sifflet du mathématicien Ian Malcolm, théoricien du chaos à la mine pourtant imperturbable.
Bravoure qu'elle partage avec l'autre personnage féminin clé du film, Lex, gamine et petite-fille du millionnaire John Hammond, concepteur qui a dépensé sans compter. Malicieuse, végétarienne, surdouée en informatique, Lex déborde d'aptitudes qui lui sauveront maintes fois la vie - à l'inverse, son jeune frère Tim s'avère bien plus peureux et empoté. Dans Jurassic Park, il n'est pas rare que filles et femmes leadent, provoquent le mouvement.
Pour CBR, Ellie Sattler parvient également à s'émanciper du "rôle traditionnellement maternel assigné aux femmes, le fait de s'occuper des enfants, de les nourrir et de les garder en sécurité", puisque c'est son compagnon Alan Grant qui se chargera de ces tâches-là - révolution. Plus encore, "le stéréotype de la jeune fille effrayée et en détresse, omniprésent dans les films, sera plutôt assigné au personnage de Tim", observe le site.
Refinery29 lui déclare à l'unisson sa flamme, évoquant notamment cette scène culte où "la paléobotaniste n'a pas peur enfoncer son bras dans un tas de merde de dinosaure afin d'aider un tricératops malade, sans susciter la moindre remarque arrogante et sexiste : elle fait juste son putain de travail de scientifique". Ellie Sattler tord le bras aux injonctions glamour indissociables des blockbusters mettant en scène des protagonistes féminins. Elle n'est pas là pour brosser le spectateur masculin dans le sens du poil.
La productrice de Jurassic Park en personne, l'indispensable Kathleen Kennedy (également productrice de E.T., Retour vers le futur, Les Goonies, Gremlins, et présidente de Lucasfilms), insiste en interview sur cette inversion des rôles plutôt jubilatoire : "Ellie Sattler est une femme forte, indépendante, volontaire, confiante. Elle n'a pas besoin d'être protégée. Nous avons tous adoré instantanément ce personnage, qui exprimait quelque chose d'assez unique à l'époque. C'était très avant-gardiste et nouveau, même si, heureusement, nous voyons de plus en plus de personnages comme ça maintenant dans les films".
Sans Sattler, nous n'aurions peut être pas vu d'autres femmes badass occuper la première place dans bien des films d'aventures et d'action de qualité.
Ainsi le National Post recontextualise : "Jurassic Park met en scène des femmes intelligentes et fortes dont le rôle et la contribution sont égaux à ceux de leurs homologues masculins, et ce 20 ans avant que nous n'acclamions Charlize Theron dans Mad Max : Fury Road". Interprète de la guerrière post-apocalyptique Furiosa dans ce dernier film, personnage auquel sera d'ailleurs consacré un film entier, l'actrice féministe marche potentiellement sur les pas de la paléobotaniste avant-gardiste...
Jurassic World : le monde d'après, prolonge-t-il cependant cette veine ? C'était en tout cas là la motivation principale de l'actrice Laura Dern en renfilant les gants. "J'adore Ellie Sattler et j'ai grandi avec elle à mes côtés. Tant d'enfants et particulièrement de jeunes femmes qui l'idolâtraient l'ont accueillie comme l'un de leurs premiers personnages d'action féministes badass vus sur un écran. J'adore l'idée de voir où elle en est maintenant", teasait-elle à Imdb.
29 ans après le premier Jurassic Park, la doctoresse Ellie Sattler est toujours une femme de convictions. Aux côtés de son cher Alan Grant, elle va essayer de renverser une multinationale désireuse de contrôler l'exploitation des dinosaures dans le monde, boîte toute puissante dirigée par un simili Steve Jobs.
L'un des instants les plus mémorables demeure la rencontre entre une partie de l'univers de Jurassic Park (dont fait partie Ellie Sattler) et celui de Jurassic World. Car aux yeux des personnages de cette nouvelle licence, Ellie Satler est un véritable modèle. La jeune Maisie, protagoniste, l'identifie aussitôt. Pour elle, Sattler est une légende. Une admiration que partage d'ailleurs la mère de Maisie, Claire Dearing (incarnée par Bryce Dallas Howard).
Ce troisième opus met donc en scène plusieurs personnages féminins de différentes générations, occupant différents postes (de pilote intrépide à scientifique brillante), équation intéressante d'où émerge Ellie Sattler, comme un point de repère, une vétérante. Personnages qui vont se démener, courir, se battre, user de leur jugeote pour affronter un monde belliqueux, moins par la faute des dinosaures que par celle des hommes.
Si l'action est démultipliée, l'ombre de la Dre Sattler n'est jamais loin. Certes, elle était brièvement réapparue dans Jurassic Park 3 (Joe Johnston, 2001), devenue alors épouse, mère de deux enfants et autrice, tout en restant amie avec Allan Grant. Mais elle retrouve ici sa teneur iconique de femme d'action.
On déplorera cependant que ses apparitions jouent avant tout de cette facette, désormais familière, sans forcément chercher à développer sa complexité, son récit personnel et sa psychologie. Il manque à ce nouvel opus un je-ne-sais-quoi de passion et d'âme, ce dont la paléobotaniste n'a pourtant jamais été dépourvue dans le passé. Mais peu importe : rappelons qu'à la toute fin, ce seront les femmes qui hériteront de la Terre.