Les accusations de harcèlement et d'agressions sexuelles portées par une trentaine d'actrices à l'encontre du puissant producteur américain Harvey Weinstein ont libéré la parole des femmes travaillant dans l'industrie cinématographique. Elles sont de plus en plus nombreuses à dénoncer ce système de prédation misogyne qui perdure depuis plusieurs décennies, dans un monde artistique où le machisme et le sexisme sont profondément enracinés. L'un des derniers nababs à avoir été mis en cause : Roy Price, patron d'Amazon Studio, accusé de harcèlement sexuel par une productrice.
Rendre ce tabou public est une étape décisive pour l'évolution des mentalités et des comportements. Mais aussi solidaire et influent soit ce mouvement féministe, il se pourrait, comme toutes vagues de rébellion sociétale, qu'il retombe aussi vite et sans qu'aucune initiative n'ait été prise pour réformer Hollywood.
Parce que la question qui se pose aujourd'hui est la suivante : comment l'industrie du cinéma américain, en majorité pilotée par des hommes, peut-elle désormais lutter efficacement contre le sexisme et l'abus de pouvoir à des fins sexuelles ? Quels changements tangibles doivent être opérés et par qui afin d'éviter de nouveaux abus ? Des solutions ont été proposées.
La productrice américaine Kathleen Kennedy (à qui l'on doit Sixième sens, Jurassic Park 3, L'étrange histoire de Benjamin Button ou encore Star Wars : épisode VIII) a profité de la 24e édition de la soirée Elle Women à Hollywood pour réclamer "un moment de sérieux" et parler des " terribles et terrifiantes histoires de harcèlement et d'agressions sexuelles dans l'industrie cinématographique".
Décidée à venir à bout de "la dévalorisation" et de "la prédation longtemps endurées par les femmes de ce milieu", la productrice a suggéré que "les organismes qui constituent l'industrie cinématographique américaine - les studios, les syndicats et les agences de talents - convoquent immédiatement une commission chargée d'élaborer de nouvelles règles pour protéger contre le harcèlement et les abus sexuels". En somme, une commission composée de juristes, d'avocats, de psychologues, de militants féministes, de sociologues, ainsi que de personnes travaillant dans le milieu.
Women in Film, une organisation à but non lucratif, a dans une tribune, encouragé les femmes à "continuer de parler du harcèlement sexuel" et à dénoncer "d'autres hommes de pouvoir" qui "connaissaient le comportement de Weinstein mais n'ont rien dit". L'association a également demandé aux conseils d'administration de veiller à ce que "des sanctions légales durables et un règlement soient appliqués, sans aucun compromis ".Le syndicat SAG-AFTRA qui représente plus de 100 000 travailleurs d'Hollywood, pourrait également apporter sa pierre à l'édifice en établissant des règles pour ses membres. Comme celle, par exemple, de ne plus planifier de rendez-vous professionnels dans des chambres d'hôtel (mode opératoire d'Harvey Weinstein).
Il ne fait aucun doute que l'égalité des sexes à l'embauche favoriserait l'égalité des droits. Dirigée en majorité par des hommes, l'industrie cinématographique américaine a besoin de femmes de pouvoir, de mixité sociale et ethnique, de plus de diversité. En outre, Hollywood devrait intégrer plus de dirigeantes et de décideuses à la tête de tous ses départements pour redistribuer le pouvoir et rééquilibrer les droits de chacun. Les producteurs, cinéastes et réalisateurs devraient participer au changement et laisser de la place aux femmes pour rendre cet environnement plus sûr.
Selon une étude réalisée en 2016 par la Commission Fédérale pour les Opportunités d'Emploi Paritaire, seules deux des 12 réalisatrices interrogées avaient géré la direction d'une émission ou d'une série télé en 2015. L'Université de Californie du Sud avait également publié une étude sur la sous-représentation des femmes dans l'industrie cinématographique : sur 414 films étudiés, il en était ressorti qu'un tiers des rôles était distribué aux femmes et seulement 28% d'entre elles appartenaient à des minorités ethniques. À l'inverse, 74% des personnages étaient des hommes âgés de plus de 40 ans.
Pour lutter contre cette discrimination des sexes et des genres, les actrices Juliette Binoche et Jessica Chastain ont lancé l'année dernière, une nouvelle société de production baptisée "We do it together", dont le but était la création de "6 films de 15 minutes, avec des réalisatrices et des actrices". Ryan Murphy (à qui l'on doit American Horror Story) a lui aussi fait un geste en lançant la Half Foundation, dont l'objectif consiste à ce que 50% des réalisateurs soient bientôt des femmes et des personnes de couleur. Comme le souligne Quartz, seuls 7% des 250 films les plus lucratifs de 2016 ont été dirigés par des femmes, soit 2% de moins qu'en 2015.
Il reste donc du chemin à parcourir. Mais l'Histoire nous a prouvé que tous combats contre la discrimination et les inégalités sociales nécessitaient du temps et un engagement inébranlable. Celui-ci semble bien parti.