Quels que soient leurs avis sur la question, toutes les femmes s'accordent à dire que la maternité est une expérience bouleversante, qui induit un profond changement. Certes, les transformations physiques et émotionnelles que la grossesse provoque sont des plus évidentes. Mais les bouleversements causés par la maternité sont bien plus profonds qu'un simple ventre arrondi, des envies étranges dues à un cocktail d'hormones bien chargé et un rythme de vie perturbé. Et une étude espagnole vient de le démontrer, en éclairant le lien biologique et affectif qui se crée entre la mère et son enfant: la grossesse transforme sur le long terme le cerveau d'une femme et remodèle sa structure mentale.
Un pavé dans la mare. Voilà l'effet qu'a provoqué la publication de l'étude Pregnancy leads to long-lasting changes in human brain structure (La grossesse provoque des changements à long terme sur la structure du cerveau humain), qui vient de paraître dans la revue Nature. Menée par des chercheurs espagnols et danois sous la direction d'Elseline Hoekzema et d'Erika Barba-Müller, de l'unité de recherches en neurosciences de l'université autonome de Barcelone, cette étude révèle que la grossesse entraîne une transformation bien plus profonde que ce que l'on pensait, puisqu'elle affecte également le coeur de la pensée humaine.
Pour arriver à ce résultat, les chercheurs ont suivi pendant cinq ans 25 femmes d'une trentaine d'années et qui voulaient devenir mères pour la première fois, en scannant plusieurs fois leurs cerveaux avant, pendant et après la grossesse. Ils ont également scanné durant le même laps de temps 20 femmes dites "témoins", qui n'étaient pas enceintes.
Or, comme l'explique le New York Times, ils se sont aperçus que pendant la grossesse, la structure mentale du cerveau des femmes changeait : les femmes enceintes montraient une diminution de la matière grise dans la partie du cerveau liée à la cognition sociale, tandis que le volume de leur hippocampe, lié à la cognition émotionnelle, augmentait. Les modifications étaient telles que les chercheurs pouvaient deviner simplement en regardant les scanners cérébraux si la femme était enceinte ou non !
Par ailleurs, il semble que la maternité "s'imprime" dans le cerveau humain et le remodèle de manière durable : deux ans après la naissance de l'enfant, les chercheurs ont constaté que les femmes présentaient toujours les mêmes modifications cérébrales. Par acquis de conscience, ils ont mis en place un test similaire avec des hommes qui s'apprêtaient à être pères et des hommes sans enfant, mais ni la grossesse ni la naissance n'ont altéré leur structure mentale. C'est donc un phénomène propre à la mère, qui jette une lumière nouvelle sur les liens qui se tissent entre la mère et son enfant.
Les femmes enceintes connaissent donc durant la grossesse une "perte" de matière grise, qui perdure jusque deux années après la naissance de l'enfant. Cette diminution de la substance grise cérébrale ne veut évidemment pas dire que les femmes enceintes perdent des neurones durant la grossesse et qu'elles deviennent plus bêtes :"Nous ne voulons surtout pas faire passer le message que la grossesse fait perdre une partie du cerveau, car nous ne pensons pas que c'est le cas", explique immédiatement Elseline Hoekzema au New York Times.
C'est même tout le contraire. En réalité, ce remodelage touche les parties du cerveau liées à notre sensibilité et à notre attachement émotionnel, celles qui permettent entre autres de saisir la manière dont les autres perçoivent les choses et de la prendre en compte. "La grossesse peut aider le cerveau d'une femme à se spécialiser, à développer cette capacité d'une mère à savoir de quoi son enfant a besoin, à reconnaître des menaces ou à développer le lien établit entre eux", confirme Hoekzema. Ainsi les transformations observées de la structure cérébrale seraient dues à la mise en condition du cerveau, qui se prépare à se concentrer sur l'enfant et ses besoins.
Pour confirmer cette hypothèse, les chercheurs espagnols ont fait passer un test d'attachement émotionnel à l'enfant aux 25 femmes de l'étude : les femmes qui décrochent les meilleurs scores au test (et qui sont donc les plus attachées émotionnellement à leurs enfants) sont aussi celles chez qui les chercheurs avaient observé les plus importantes modifications. Il existe donc bien une corrélation entre cette restructuration cérébrale et le lien affectif qui rend la relation d'une mère et son enfant si particulière. Mais si cette troublante découverte permet d'éclairer les tréfonds de la maternité, il jette l'opprobre sur le marché des mères porteuses : au vu de ces découvertes, cette pratique largement dénoncée dans le monde a tout d'un cruel et traumatisant esclavage.