La seule fois où j'ai réussi à avoir un orgasme en me touchant, j'en ai écrit un article victorieux. J'avais usé d'une technique ultra-efficace - celle du pommeau de douche en mode jet puissant dirigé vers le haut de ma vulve - après des années à me caresser sans succès sous la couette, ou à compter sur mes rêves pour me transporter, et le succès était au rendez-vous.
L'atmosphère était humide, les sensations explosives, et mon sentiment d'enfin réussir à vivre un truc dont j'entendais parler h24, jouissif. Dans tous les sens du terme. Depuis, je n'ai plus recommencé. Parce que je n'en ai jamais ressenti l'envie. A deux, la masturbation mutuelle est un exercice auquel je me prête volontiers, mais en solo, je préfère mille fois me taper un plat de pâtes carbo devant Le Diable s'habille en Prada que de glisser mes doigts sur mon clito. Ma définition perso d'une gâterie de moi à moi.
J'insiste sur le mot "perso", parce que cette relation avec le plaisir solitaire m'est tout à fait propre. Et loin de moi l'idée d'en faire une généralité. Je trouve qu'il est essentiel que les femmes sachent qu'il n'y a aucune honte à parcourir leur propre corps, ni à s'auto-envoyer en l'air. Que ce sujet doit absolument être normalisé et que pour nombreuses, il est source d'une réappropriation nécessaire de leur silhouette, de leur apparence, de leur puissance.
Seulement pour moi, ce n'est pas vraiment le cas. Et si je suis entièrement d'accord pour dire que la masturbation féminine est depuis trop longtemps diabolisée, et qu'il faut à tout prix s'affranchir de ce tabou nocif, ne pas en éprouver le besoin ne devrait pas non plus devenir péjoratif. Ni interprété comme un frein à notre (ou en l'occurrence, mon) épanouissement sexuel.
"La découverte de son corps se fait parfois avec un ou une partenaire. Et la masturbation ne doit pas être une obligation ou une énième injonction sexuelle", affirmait justement Dre Charlotte Tourmente, médecin généraliste et sexologue interrogée par Slate il y a un peu plus d'un an. Même son de cloche chez la sexologue et psychanalyste Catherine Blanc au micro d'Europe 1 plus récemment. "[C']est un éveil érotique entre soi et soi, une réponse à un questionnement sur le sujet de la sexualité".
Elle poursuit, avertissant contre la création (involontaire, on imagine) de nouveaux impératifs : "Après l'avoir considérée comme taboue jusque récemment, la société a ouvert aux femmes ce champ de possibilités. Mais elle n'est pas pour autant un exercice obligatoire : ce n'est pas une réponse à une injonction mais une liberté."
Une liberté de s'y adonner pleinement, mais aussi de ne pas y trouver grand contentement, sans pour autant que cette insensibilité ne traduise un mal-être ou un refoulement quelconque. Dans mon cas par exemple, je ne suis certes pas une grande fan des sextoys sans partenaire, mais dès qu'on est plusieurs, leur utilisation me semble beaucoup plus réjouissante et enthousiasmante. J'aime explorer l'effet de ces vibrations sur lui, sur nous. Mais seule - et oui, j'ai tout essayé : je m'ennuie.
De manière générale d'ailleurs, pour ressentir toute l'intensité du sexe, j'ai besoin de contact. De peau à peau, de respirations haletantes, de mains, de baisers, de mener la danse puis de me laisser guider. Je le vois comme un échange ininterrompu où l'un puis l'autre prend les rennes d'ébats doux, langoureux ou plus torrides, selon l'humeur. Je ne suis que peu intéressée par le plaisir sans l'autre. Pas parce que j'aurais besoin d'une présence extérieure pour m'autoriser à le vivre, mais plutôt car c'est ce partage, cette envie réciproque de se faire du bien, qui me fait grimper aux rideaux.
Et puis quand bien même je n'aurais aucune appétence à l'idée de faire l'amour tout court (à moi comme aux autres), on ne devrait rien y trouver à redire.
"C'est là toute la complexité de la sexualité propre à chacun", évoque la psychanalyste. Et de résumer : "Quoiqu'il en soit, il est tout à fait normal de ne jamais se masturber. Peut-être que [votre] sexualité trouve tout simplement son épanouissement plein et entier dans une relation à l'autre". Peut-être. Peut-être aussi que ma libido n'est pas aussi importante que j'aie besoin de m'occuper de moi-même pour être satisfaite (ah, les hormones du post-partum qui s'éternisent).
Une chose est sûre cependant, pouvoir exprimer ce non-désir, comme d'autres peuvent désormais (et heureusement) davantage partager l'importance qu'elles accordent au plaisir solitaire, est la clé d'une meilleure acceptation de soi. Et un progrès essentiel dans une société qui, aujourd'hui encore, peine à se débarrasser de diktats et de non-dits - sexuels ou pas - lourds de conséquences.