Culture
"Matangi/Maya/M.I.A", à la rencontre d'une artiste brute et engagée
Publié le 18 février 2019 à 18:31
Par Pauline Machado | Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
On a vu "Matangi/Maya/M.I.A", le long-métrage sur l'histoire de M.I.A. présenté au festival F.A.M.E à la Gaîté lyrique de Paris, qui célèbre cette année les femmes dans le milieu de la musique. Un film inégal mais touchant.
Art issu de l'affiche du documentaire Matangi/Maya/M.I.A Art issu de l'affiche du documentaire Matangi/Maya/M.I.A© Rapid Eye Movies
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Matangi/Maya/M.I.A. est à l'image de l'artiste éponyme : sans filtre. A l'origine du long-métrage, 700 heures de vidéos perso données par la rappeuse britannique au réalisateur Steve Loveridge, ami et ancien camarade de classe à la Central Saint Martins, école d'art réputée de Londres. Ce dernier les transformera en 97 minutes à peine commentées. Le montage est brut, la qualité aussi. On s'attend à être séduite dès les premières images, ce n'est pas vraiment le cas. Mais la deuxième partie rattrape clairement le coup.

Le docu démarre sur les jeunes années de Mathangi "Maya" Arulpragasam. Fille d'un des fondateurs de la résistance tamoule, les Tamil Tigers, un groupe de révolutionnaires qui s'opposait au gouvernement sri-lankais et aux cinghalais·es, elle fuit son pays en 1985 pour gagner la Grande-Bretagne en tant que réfugiée avec sa mère, son frère et sa soeur.

Elle débarque à 8 ans dans un HLM de Mitcham, un quartier du sud de Londres et ne reviendra au Sri Lanka qu'à son adolescence. Elle grandit au sein de plusieurs communauté, danse, rêve. Les 40 premières minutes du film sont d'ailleurs presque uniquement composées de ces images parfois trop longues de projets d'étudiante qui n'apportent pas grand-chose à l'oeuvre, si ce n'est de montrer le besoin vital de créer de la future artiste.

Et puis, elle retourne à Colombo. Elle revoit sa grand-mère, elle retrouve des membres de sa famille. L'histoire prend une autre envergure.

© Youtube/MovieClipsIndie

Elle échange avec son cousin qui lui dira d'ailleurs "qu'elle ne sait rien" du Sri Lanka, car elle en est partie trop jeune. Un moment où l'on saisit la dureté du statut de Maya, prise entre le monde occidental qui la rejette parfois et son pays d'origine qui considère qu'elle n'y a pas sa place. Dualité injuste que ressentent aussi nombreuses des premières générations d'immigré·es.

On suit l'accomplissement de sa carrière, sa première scène au festival californien de Coachella en 2005, l'élaboration de Paper Planes avec le producteur et rappeur Diplo, son compagnon de l'époque. En parallèle, la crise des Tamouls au Sri Lanka s'aggrave, sa grand-mère revient un matin avec un oeil touché par un tir militaire - elle le perdra.

Maya devenue M.I.A. décide de mettre la médiatisation dont elle fait l'objet en tant qu'artiste tendance au service de la cause politique de son pays d'origine. Elle prend partie pour les Tamouls (que les Etats-Unis, comme l'Union Européenne, ont qualifié d'organisation terroriste), dénonce le génocide du gouvernement sur les siens dès qu'elle en a l'occasion.

Mais on ne la prend pas au sérieux. L'interview rageante de condescendance de Bill Maher diffusée dans le film le prouve. Elle hésite à rencontrer les journalistes, puis accepte finalement un portrait du New York Times écrit par Lynn Hirschberg.

Les pages deviendront célèbres pour la façon dont la reporter met en contradiction ses opinions politiques, son combat pour faire entendre la souffrance de la population sri-lankaise avec son mode de vie dans un quartier "très blanc et très riche de Los Angeles" et son envie de frites aux truffes alors qu'elle clame vouloir être une outsider (plat qui aurait été en réalité commandé par la journaliste). Comme si son quotidien invalidait sa bataille.

© Youtube/M.I.A.

Le film se finit sur l'incident qui aura secoué l'Amérique : le doigt d'honneur au Super Bowl. Si en France, on n'aurait peut-être pas fait tout un scandale d'un majeur levé en prime time, les Américains - et plus particulièrement la NFL - veulent sa peau. M.I.A. rationalise cette haine généralisée ainsi : "Une personne racisée qui se tient sur scène et qui ne suce pas de bite est plus offensant que de tuer quelqu'un."

En fin de compte, si le documentaire ne relate les faits qu'en s'appuyant sur les dires de l'artiste, il a l'avantage d'offrir une version nouvelle au déversement de critiques dont elle aura fait l'objet. Et de sensibiliser à l'horreur de la guerre civile sri-lankaise, si ce n'est pas déjà le cas.

Surtout, avec ces images inédites, on découvre une M.I.A. authentique, qui ne s'excuse pas d'exister, de vouloir autant le succès que la justice pour son peuple et de chanter aux Grammy's à 9 mois de grossesse avec un haut transparent - tenue que Lynn Hirschberg qualifiera de "quasi-nudité", dans son infini puritanisme. On comprend aussi le besoin qu'elle avait d'exprimer sa rage, dans un contexte politique et sociétal où l'on voulait à tout prix la faire taire.

Dommage que la principale concernée ait jugé que le résultat "enlevait tout son cool", quand elle l'a découvert lors de sa présentation au dernier festival de Sundance.

Matangi/Maya/M.I.A. © DR

Matangi/Maya/M.I.A, disponible en VOD à partir du 22 mars en France

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