Un pays sans femmes. Dit comme ça, l'idée semble cauchemardesque, ou à l'inverse idyllique pour bien des misogynes. Détrompez-vous : c'est peut-être l'initiative la plus féministe du mois. Le 9 mars prochain, les citoyennes mexicaines vont effectivement "disparaître" des bureaux, magasins, transports, rues, restos et écoles. Une grève nationale qui promet d'être aussi massive qu'impressionnante, et qui porte en elle une volonté militante intense : protester contre la recrudescence des violences sexistes et sexuelles qui accablent les femmes dans le pays, mais aussi contre le fléau des féminicides.
Au sommet de ce vaste mouvement de mobilisation, un mot-clé : #UnDiaSinNosotras - une journée sans nous. Interrogé par le New York Times (qui voit déjà là "un événement monumental, mais aussi un moment décisif dans l'histoire moderne du Mexique"), Arussi Unda, la porte-parole du collectif féministe Las Brujas del Mar, envisage ce jour imminent comme la preuve que "la révolution sera féministe". Autrement dit, c'est un jour décisif qui pourrait être au Mexique ce que la Marche des Femmes (ou Women's March) fut aux Etats-Unis, et qui porte en lui une finalité limpide : "Envoyer au monde un message de colère", dixit la militante. Hâte !
En février dernier, elles étaient déjà nombreuses, les citoyennes Mexicaines, à défiler dans les rues à la mémoire d'Ingrid Escamilla, cette jeune femme de 25 ans tuée et dépecée - ou plutôt massacrée - par son compagnon. "Pas une de plus !", scandaient-elles alors pour honorer les victimes de féminicides. Et il y a de quoi hurler. De janvier à septembre 2019, ce sont plus de 726 femmes qui ont été assassinées au Mexique. Une ville comme Juarez (au nord du pays) est même surnommée "la ville qui tue les femmes", tant les meurtres, enlèvements, tortures et violences diverses y sont légion. Mais les hommes ne feront plus disparaître les femmes : celles-ci ont décidé de le faire d'elles-mêmes.
"Ce n'est pas [une grève] contre le gouvernement mais contre l'État mexicain tout entier, contre le secteur privé, contre les hommes qui harcèlent, qui violent, qui tuent et contre tous ces "braves hommes" qui se tiennent debout et ne font rien", explique au média américain la romancière et militante féministe mexicaine Sabina Berman. Des mots puissants et justes qui nous renvoient aux tout aussi fédératrices manifestations chiliennes. Au Chili, des dizaines de citoyennes ont entonné l'an dernier des chants de révolte afin de dénoncer les violences sexistes et sexuelles tout en le rappelant avec virulence : "les policiers les juges, l'État, le président" sont aussi "des violeurs". Des instances synonymes d'impunité, de répression, de censure.
Les futures grévistes elles aussi secouent le pouvoir en place et espèrent que leur mobilisation "se transformera en action concrète" pour les femmes et leurs droits, insiste l'activiste Arussi Unda. Et dans cette lutte, elles ne sont pas seules. Comme le précise encore le New York Times, de nombreuses sociétés et entreprises ont déjà exprimé leur soutien et ont déclaré "qu'elles ne pénaliseraient pas leurs employées qui ont pris congé".
Une promesse ouvertement soutenue par la mairesse de Mexico Claudia Sheinbaum, mais aussi par le Conseil de coordination des affaires du Mexique (réunissant plusieurs groupes d'entreprises), qui le temps d'un communiqué officiel l'a même déploré : "Sans aucun doute, la réponse des autorités au cours des dernières années n'a pas été adéquate ou suffisante. Nous avons tous échoué en tant que société. Le temps de la solidarité et de l'empathie est venu".
Aujourd'hui, les Mexicaines ont à l'esprit l'engagement de la peintresse Isabel Cabanillas, tuée d'une balle dans la tête à Juarez en janvier dernier. Ce grand évanouissement national sera une façon comme une autre de ne pas oublier cette mort "de trop", encore une. Et si, face aux manifestations traditionnelles, impliquant la réappropriation de l'espace public par les femmes, cette "disparition" organisée était tout aussi impactante ?