En janvier dernier, le Mexique était secoué par des mouvements d'indignation suscités par l'assassinat de l'artiste féministe Isabel Cabanillas. Alors qu'elle se promenait à vélo à Juarez, la peintresse avait reçu une balle en pleine tête. Ce crime avait engendré de grandes manifestations. A Juarez, surnommée à juste titre "la ville qui tue les femmes", c'était un meurtre de plus et de trop, une tragédie comme, hélas, l'on en voit tant au Mexique. Rappelons à ce titre que de janvier à septembre 2019, 726 citoyennes ont été assassinées. Et c'est sans compter le nombre de femmes violentées, menacées, enlevées ou portées disparues...
Et aujourd'hui, c'est un nouveau drame qui vient alourdir cet accablant état des lieux : la mort d'Ingrid Escamilla à Mexico. Au début du mois, cette jeune femme de 25 ans a été tuée et dépecée, tel que le relate CNN. Son compagnon, de vingt et un ans son aîné, l'a poignardée et éventrée, avant de lui arracher les organes, et d'en jeter une partie dans les toilettes. L'assassin a été retrouvé sur les lieux du crime, recouvert du sang de sa victime. Une barbarie qui a incité les Mexicaines à se mobiliser le 15 février dernier dans les rues du pays. Lors de cette manifestation à la mémoire des victimes de féminicides, résonne un mot d'ordre où s'enlacent le désespoir et la révolte : "Pas une de plus !".
Ce n'est pas un simple fait divers qui vient ensanglanter le Mexique, mais une sonnette d'alarme qui retentit, face à une violence toujours plus prégnante et écoeurante. Lors de ces mobilisations populaires, où marchent une majorité de femmes, le visage d'Ingrid Escamilla se retrouve affiché sur les pancartes. Il surplombe les poings levés des manifestantes, qui entonnent des chants de protestation et marchent, les pas rythmés par des tambours, jusqu'au bâtiment où a été retrouvé le corps d'Ingrid Escamilla.
Il est important de faire honneur à Ingrid Escamilla. Au lendemain de la découverte du corps, les médias nationaux avaient scandalisé le peuple mexicain en diffusant sans détour des photographies de son cadavre. En réaction à ces choix d'iconographie indécents au possible, les internautes avaient alors décidé de diffuser de "belles photos" (de paysages, de fleurs, mais également des portraits artistiques de la jeune femme) tout en relayant son nom sur les réseaux sociaux. Aujourd'hui, les manifestantes, dont certaines défilent cagoulées ou vêtues d'un foulard vert, s'indignent en pleine capitale contre l'impunité des agresseurs et assassins.
A l'instar des manifestantes chiliennes (pour qui l'Etat et les policiers sont tout aussi responsables des violences faites aux femmes que les meurtriers), les citoyennes mexicaines fustigent haut et fort les failles des autorités et de la Justice face au fléau des féminicides. Parmi elles, on trouve les membres du collectif féministe No las olvidamos. Traduction : "on ne les oublie pas". Un mot d'ordre fort, en adéquation totale avec celui qui se diffuse massivement depuis plusieurs jours, des écriteaux aux comptes Twitter : "Ingrid somos todas" ("Nous sommes toutes Ingrid").
Dans ces rangs retentit également un slogan, puissant : "Mexique féminicide". On ne peut être plus clair. "Le cas d'Ingrid est emblématique de la crise que nous vivons toutes. Son corps a non seulement été mutilé par son bourreau, mais les détails de cette barbarie ont été rendus publics, le lendemain, par des journaux. C'est une apologie de la violence machiste !", épingle une jeune étudiante interrogée par CNN, venue scander sa douleur. Et une consoeur, tout aussi révoltée par le médiatisation de l'affaire, de corroborer : "L'extrême violence machiste ne peut pas être un produit de consommation".
Il faut dire que cette violence se banalise dangereusement. Tel que le précise le média américain, 1006 cas de féminicides ont été signalés dans le pays l'an dernier, sur une globalité de 35 000 homicides. Le procureur général Alejandro Gertz observe quant à lui une augmentation massive de ces meurtres à raison de 137% au cours des cinq dernières années. Affolant. Dans la foule, une citoyenne réagit à ces chiffres. La voix alerte, elle le constate, attristée : "Aucune femme n'est à l'abri".