Enfin.
Au bout de onze semaines très pesantes, le procès des viols de Mazan va s'achever. C'est une question de jours. Procès des viols de Mazan, ou procès Pelicot. Pour rappel, Dominique Pelicot encourt jusqu’à 20 ans de prison. Poursuivi pour viols aggravés sur son ex compagne, Gisèle Pélicot, le retraité de 71 ans est accusé d'avoir violé à plusieurs reprises celle-ci, mais également enrôlé en ligne des dizaines d'hommes pour la faire violer.
Des viols en série qui auraient perduré durant près de dix ans, alors que la victime était sous soumission chimique et dans son propre lit, à leur domicile de Mazan. A la barre également, s'exprimant près de cinquante accusés, des hommes âgés de 26 à 74 ans, jugés en grande majorité pour viol aggravé. A cela sont venues s'ajouter les récentes allégations des enfants Pélicot, que nous vous relatons dans cet article.
Il faudra patienter jusqu'au 20 décembre pour que le verdict soit prononcé. Prendront place dès le 25 novembre les défenses des avocats des accusés - lesquels sont venus délivrer des propos très euphémisants, dérangeants, voire choquants : on a dédié un article entier à ce florilège de culture du viol. Mais ce 21 novembre, un discours primordial est déjà venu bouleverser toute l'audience du palais de justice d'Avignon.
Devant la cour criminelle du Vaucluse, c'est effectivement Maître Stéphane Babonneau, l'avocat de Gisèle Pelicot, qui a délivré sa plaidoirie. Un texte puissant, poignant, qui dit tout. Et pour beaucoup, une lecture déjà historique.
C'est un discours intense et précis qu'a tenu l'avocat.
Au fil des mots, le victim blaming (le fait de faire culpabiliser une victime de violences sexuelles), la culture du viol, la prise en compte des victimes par la justice, tout y passe.
L'orateur a tenu à inscrire cette affaire dans l'histoire : il la compare aux luttes de l'avocate Gisèle Halimi, profondément engagée pour les droits des femmes, et la prise en compte du viol. En 1978, l'avocate regrettée avait défendu deux femmes lesbiennes battues, séquestrées et violées par trois hommes quatre ans plus tôt, à Aix-en-Provence, lors de "l'Affaire Tonglet Castellano".
Et avait déclaré : "Une femme violée, c'est une femme cassée, c'est une femme éclatée. C'est une femme qui ne s'en remettra jamais. Une partie d'elle-même entre dans un espèce de coma. On dit d'elle : elle n'avait qu'à pas porter un jean collant, elle n'avait qu'à pas sourire, elle n'avait qu'à pas sortir, elle n'avait qu'à pas... A la limite, elle n'avait qu'à pas exister en tant que femme".
Des mots auxquels se révère Maître Stéphane Babonneau.
"Nous voilà en 2024, quarante-huit ans plus tard, à entendre à nouveau que les violeurs sont victimes, et même victimes de leurs victimes, qu'un viol pouvait être le fruit d'un malentendu, que, si une femme est violée, c'est un petit peu de sa faute. La bonne victime, ce serait celle qui ne parlerait pas. Le mal est fait, à quoi bon détruire une autre vie, celle des enfants, de l'épouse, des parents âgés ? Cette vision doit cesser", affirme Maître Stéphane Babonneau.
"L'homme qui viole n'est pas plus une victime que ne l'est le chauffard qui, conduisant en état d'ivresse, provoque un accident où il se cause à lui-même des blessures. Nul n'a jamais demandé à une victime d'accident de la route de reconnaître l'auteur comme victime à son tour pas plus qu'on ne songerait à lui reprocher d'avoir pris sa voiture"
"Ce que plaident les accusés est une simple et banale erreur d'appréciation. “J'ai écouté son mari”, “c'est son mari qui était consentant…” » Si vous acceptez ici un droit à l'erreur, qu'est-ce qui empêchera d'autres, plus tard, de dire que, quand une femme leur a dit non, ils ont compris qu'en réalité elle disait oui et qu'eux aussi se sont trompés ?", a poursuivi face à l'audience Maître Stéphane Babonneau.
Mais cette plaidoirie va plus loin encore. En se concentrant sur la réalité des faits, mais également, sur l'impact de ce procès auprès des générations futures.
"Ce procès sera un testament, un héritage transmis aux générations futures qui découvriront Gisèle Pelicot, son courage, le prix qu'elle a payé pour changer la société. Madame Pelicot, vous êtes allée au-delà de ce qu'on pouvait attendre de vous. Je vous incite aujourd'hui à transmettre le flambeau. Le temps est à présent venu de remettre entre vos mains leur histoire, leur espoir, leur futur"
"Les moyens de commettre un viol ne vont pas disparaître. Ce qui doit, en revanche, changer, c'est l'idée, ancrée dans un certain imaginaire masculin, que le corps de la femme est un objet de conquête. Nul n'affirme que les hommes sont intrinsèquement toxiques, mais ils sont plus exposés au risque de violer que les femmes, et c'est en grande partie lié aux représentations dans lesquelles ils se construisent"
Pour beaucoup, c'est un texte historique.
Il suffit à ce titre de constater les réactions des lecteurs du média Brut, lequel a partagé le discours en son intégralité : "Plaidoirie incroyable de Maître Babonneau, ça va être difficile de l'oublier", "Une plaidoirie remarquable, j'en ai les larmes aux yeux", "Bravo monsieur pour cette plaidoirie exemplaire", "Quelle plaidoirie et quelle femme", "J’en ai pleuré…une femme, par son courage, son humanité, son combat, est en train de changer notre histoire, notre droit".
"J’ai pris le temps de tout lire. C’est poignant, c’est déchirant mais c’est la vérité", Texte à imprimer et à étudier dans les écoles, les sociétés", "Merci pour nous toutes, nous tous, et pour notre société", "Merci à cet avocat de reparler du combat de Gisèle Halimi qui 46 ans après égal toujours d’actualité", "ça vaut tellement la peine de tout lire. c'est révoltant".
Bien des internautes envisagent cette plaidoirie d'utilité publique.
Au palais de justice d'Avignon, cela fait depuis le 2 septembre que ce procès dit des viols de Mazan prend place. Aujourd'hui, cette affaire semble encore prendre un nouveau tournant. Vers une prise de conscience collective.