La Semaine de la santé mentale, qui a pris place depuis ce 9 octobre, est l'occasion de briser des tabous et de rappeler que, oui oui, les enjeux de genre associés aux luttes féministes sont également primordiaux pour comprendre l'importance d'une bonne santé... Aussi psychologique que physique !
Chez les femmes... Comme chez ces messieurs. Car les hommes ne se soucient pas suffisamment de leur santé mentale.
Et leur bien être peut passer par un simple geste : pleurer. Mais cela exige en un premier temps d'accepter de pleurer. Or, cliché et stigmatisation associées à la masculinité désignent les larmes des hommes comme une forme de honte sociale.
On connaît la célèbre chanson du groupe The Cure : "Boys don't cry" : "les garçons ne pleurent pas". Les larmes seraient, pour ceux qui s'accrochent trop aux clichés, l'inverse de la virilité. Pourtant, les spécialistes s'accordent à dire que pleurer, c'est bon pour la santé.
Gros plan sur un tabou.
Diplômé de l'Ecole normale supérieure en sciences cognitives et titulaire d'un doctorat en santé publique - recherche clinique de l'Université Paris Saclay - le Dr. Mickael Worms-Ehrminger a justement étudié ce sujet pour l'association à but non lucratif reconnue d’intérêt général Place des Sciences, dont la mission est de diffuser au grand public des informations fiables dans le champ de la santé mentale et de ses troubles. Mickael Worms-Ehrminger produit également plusieurs podcasts scientifiques, dont "Les Maux Bleus", qui traite précisément de santé mentale.
Or selon l'expert, il est certain que les hommes ont toujours été incités à se montrer forts en toutes circonstances, "historiquement et culturellement", et à refreiner leurs émotions, au risque de paraître "sensibles ou faibles", au profit de la domination et de la compétitivité. Et pour le Dr., c'est une certitude : "ce modèle de masculinité, qu’on qualifie de toxique, a des impacts certains sur le bien-être mental des hommes".
"Ne pas pouvoir exprimer ses émotions peut effectivement mener à l’isolement et au refus de demander de l’aide, par exemple en cas d’émotions négatives, telles qu’une détresse importante", explique dans son analyse Mickael Worms-Ehrminger. A l'inverse, exprimer ses émotions, pleurer par exemple, quand on est un homme, peut mener "vers un modèle de masculinité moins oppressif et plus égalitaire".
Mais cela passe, explique le spécialiste, par "la prise de conscience des hommes sur l’importance de prendre soin de sa santé mentale". Et de ne pas conserver pour soi ses émotions les plus négatives, ni euphémiser leur impact.
Pleurer pour lutter contre l'isolement ?
C'est précisément ce que démontre à l'unisson cette thèse scientifique partagée par la National Library of Medicine, autrement dit la plus grande bibliothèque biomédicale au monde, ressource nationale pour les professionnels de la santé, les scientifiques et le public.
Cette recherche met effectivement en avant "les effets auto-apaisants des pleurs" en partant de l'hypothèse générale selon laquelle "les pleurs sont un comportement auto-apaisant, de régulation de l'humeur et de réduction du stress, qui agissent sur l'amélioration et le soulagement de l'humeur". Santé mentale et santé physique sont donc altérées par la gestion des émotions et de leur libération.
Des voix expertes l'énoncent scientifiquement. Comme Sam Louie.
Sam Louie est un psychothérapeute mais également un conseiller agréé en santé mentale, auprès d'un institut spécialisé, le Lakeland Mental Health Center. Au magazine Psychology Today, il explique : "Crying is caring". Si on le traduit littéralement : pleurer, c'est prendre soin de soi. "C’est déchirant de voir autant d’hommes me dire qu’ils se sentent faibles et honteux de ressentir de la tristesse", témoigne-t-il.
"Toute leur vie, on leur a dit que « les vrais hommes ne pleurent pas », mais des études montrent que pleurer est un moyen pour le corps d’évacuer les toxines. D’un point de vue physiologique, lorsque les humains sont stressés, il y a une augmentation de l’hormone adrénocorticotrope (ACTH). Au fil du temps, à mesure que ce phénomène s’accumule, il entraîne davantage de stress qui doit être évacué", détaille l'expert.
Avant de préciser : "Soit la tristesse se manifeste sous sa forme saine, sous forme de larmes, soit, si elle réprimée, elle peut provoquer l'apparition d'un certain nombre de symptômes physiques connus cliniquement sous le nom de troubles somatoformes : c'est-à-dire des problèmes psychologiques/relationnels qui se manifestent sous forme de symptômes physiques".
D'où son assertion : "crying is caring". Pleurer, pour évacuer le stress, qui mène potentiellement au "burn out" et à la dépression.
Si les spécialistes s'accordent pour aborder les bienfaits des larmes, pourquoi tant d'hommes s'évertuent encore à réprimer leurs émotions ?
"Un homme, ça ne pleure pas pour un rien", explique à ce propos au magazine Psychologies Catherine Aimelet-Périssol, auteure de Comment apprivoiser son crocodile (Robert Laffont, 2002). Diplômée de médecine à la Pitié-Salpêtrière, Catherine Aimelet-Périssol est docteur en médecine et psychothérapeute.
"Le poids culturel est encore lourd et bride toujours les hommes dans l’expression de leurs émotions. Alors, plus ou moins consciemment, ils se retiennent. Au fond, les larmes sont pour les hommes un aveu d’impuissance. D’où leur réticence à s’y laisser aller. Dans cet instant d’abandon de soi, l’homme se trouve ramené à sa juste dimension d’individu faillible, contraint de faire le deuil de l’image fantasmée de surhomme à laquelle il voulait correspondre", développe l'érudite.
Une "image fantasmée" qu'il faudrait peut être fuir pour mieux s'accepter ? Bien des médecins le recommandent en tout cas.
Mickael Worms-Ehrminger est docteur en santé publique et recherche clinique à l'Université Paris Saclay. Diplômé de l'Ecole normale supérieure en sciences cognitives, il est producteur de podcasts scientifiques, dont "Les Maux Bleus", dédié à la santé mentale. Il est l'auteur du livre Vivre avec un trouble de santé mentale : Les mots pour le dire, les outils pour s’en sortir, paru aux éditions Marabout en 2023.
Sam Louie est psychothérapeute et conseiller agréé en santé mentale, auprès d'un institut spécialisé, le Lakeland Mental Health Center. Il est contributeur au magazine Psychology Today, revue spécialisée dédiée depuis 1967 à la discipline scientifique de la psychologie.
Diplômée de médecine à la Pitié-Salpêtrière, Catherine Aimelet-Périssol est docteur en médecine et psychothérapeute. Elle est notamment l'autrice des livres Comment apprivoiser son crocodile (Robert Laffont, 2002) et Emotions : quand c'est plus fort que moi - Peur, colère, tristesse, comment faire face ?, paru aux éditions Leduc en 2017.
La thèse scientifique "Pleurer est-il un comportement d’auto-apaisement ?", mise en ligne en version numérique sur la National Library of Medicine est à retrouver ici. Elle est signée par Asmir Gračanin (Département de psychologie, Faculté des sciences humaines et sociales de Rijeka, Croatie), Lauren M. Bylsma (Département de psychiatrie, Université de Pittsburgh, États-Unis), et Ad J. J. M. Vingerhoets (Département de psychologie médicale et clinique, Université de Tilburg, Pays-Bas).
Pour plus d'informations sur la Semaine de la santé mentale, rendez-vous sur la page de sensibilisation dédiée de Webedia.