Politique
"L'affaire Bayou" aurait-elle pu être mieux gérée ?
Publié le 30 septembre 2022 à 14:48
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Sous pression suite à des accusations de "violences psychologiques" sur son ex-compagne, le secrétaire national d'Europe Écologie-Les Verts Julien Bayou a démissionné de son poste ce 26 septembre. Une nouvelle "affaire" qui ébranle la sphère politique et interroge sur la gestion des violences sexistes et sexuelles en interne.
Julien Bayou à la Fête de l'Humanité 2022 au Plessis-Pate le 10 septembre 2022 Julien Bayou à la Fête de l'Humanité 2022 au Plessis-Pate le 10 septembre 2022© Abaca
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Les partis de gauche s'attendaient sans doute à une rentrée plus douce. Après la gestion pour le moins désastreuse des affaires Taha Bouhafs et Eric Coquerel par la France insoumise, le parti de Jean-Luc Mélenchon a de nouveau traversé une séquence tumultueuse avec les révélations du Canard enchaîné, dévoilant l'existence d'une main courante déposée par Céline Quatennens, l'épouse du député insoumis Adrien Quatennens. Une semaine plus tard, celui-ci postait un long (et laborieux) communiqué reconnaissant des violences conjugales, l'amenant à se mettre en retrait de sa fonction de coordinateur de la FI. Une décision là encore accueillie de façon inappropriée par certains cadres insoumis, des tweets polémiques de Jean-Luc Mélenchon aux propos lunaires de Manuel Bompard, minimisant la gravité d'une gifle.

C'est dans ce contexte ultra-tendu qu'ont déboulé des tweets émanant du tout nouveau collectif Relève féministe, dont l'objectif affiché serait de mettre fin à "l'omerta" sur les violences en politique. Le leitmotiv, repartagé des dizaines de fois le 19 septembre dernier sur Twitter ? "Bonjour EELV, la cellule VSS (violences sexistes et sexuelles- Ndlr) a été saisie en juillet après des accusations de violences commises par Julien Bayou sur son ex-compagne. Comment s'assurer que les militantes soient en sécurité ? Aucune mesure ne semble avoir été prise, pourquoi ?"

La saisie en question n'avait pas fait grand bruit à l'époque. C'est le secrétaire national d'Europe Ecologie-Les Verts Julien Bayou lui-même qui en avait révélé les détails auprès du Figaro en juillet dernier. "Selon des informations du Figaro confirmées par l'intéressé, le secrétaire national et député Julien Bayou, son ex-petite amie a saisi la commission contre lui. "La commission a été saisie suite à une rupture douloureuse et difficile", dit-il, reconnaissant ne pas avoir tous les éléments en main. Il évoque 'une rancoeur qu'elle ne cache pas puisqu'elle m'a clairement écrit, trois jours après avoir saisi la commission interne d'EE-LV' : 'Inquiète-toi. Je vais revenir et en force. [...] La chute va être douloureuse'", pouvait-on lire.

"C'est Kafka à l'heure des réseaux sociaux"

Interrogée sur le plateau de C à vous sur l'avancement de cette enquête interne de la cellule d'écoute EELV, l'écoféministe, Sandrine Rousseau, fut tranchante, sans précaution, la députée faisant allusion à des "comportements de nature à briser la santé morale des femmes", expliquant avoir "très longuement" échangé avec l'ex de Julien Bayou "très mal et déprimée", et évoquant même "une tentative de suicide quelques semaines après".

Des propos aussi flous que lapidaires qui, dans le contexte des différentes affaires de violences sexistes et sexuelles qui ont entaché les partis politiques ces derniers mois, n'ont pas manqué de faire l'effet d'une bombe.

Une semaine après ces déclarations fracassantes, confronté à une situation qu'il jugeait "intenable", le secrétaire national a démissionné, prenant soin de mandater son avocate, Marie Dosé, pour contre-attaquer lors d'une conférence de presse ce 26 septembre. Parmi les éléments de riposte, le leader vert a notamment reproché à Sandrine Rousseau d'instrumentaliser le "juste combat contre les violences sexuelles et sexistes à des fins politiques".

"Je suis accusé de faits qui ne me sont pas présentés, dont mes accusateurs·ices disent qu'ils ne sont pas pénalement répréhensibles, et dont je ne peux pour autant pas me défendre puisqu'on refuse de m'entendre. C'est Kafka à l'heure des réseaux sociaux", a répliqué Julien Bayou, qui conserve cependant son mandat de député.

Une remise en question ?

Pourquoi, alors que la cellule d'EELV s'était autosaisie fin juin après avoir été mise en copie d'un email accusateur de l'ex-compagne de Julien Bayou, aucune des deux parties n'a encore été auditionnée ? Pourquoi les conclusions de cette enquête n'ont-elles toujours pas été rendues ? Entre la mise en lumière brouillonne de ces "violences psychologiques" présumées, qui n'auraient pourtant "rien de pénalement répréhensibles" comme l'a souligné Sandrine Rousseau et n'ont fait l'objet d'aucune plainte, ou encore la lenteur de la procédure, cette "affaire Bayou" montre-t-elle les limites des cellules de signalement sur les violences sexistes et sexuelles des partis politiques s'interroge-t-on ? Autant de questions auxquelles le parti écolo, secoué et embarrassé, fait face.

Interrogée par Terrafemina, Charlotte Minvielle, co-responsable de la commission Féminisme d'Europe Écologie les Verts, salue la décision du secrétaire général de démissionner. "La cellule sera peut-être amenée à opérer plus sereinement maintenant. Le fait que cette affaire soit aussi médiatisée leur met beaucoup la pression", regrette-t-elle, confirmant que l'enquête avait bel et bien commencé et que Julien Bayou serait entendu en dernier, à l'issue du recueil de tous les éléments.

Alors que Sandrine Rousseau concentre les critiques, jusqu'au sein même du parti, désignée responsable d'un "vulgaire déballage" selon l'avocate de Julien Bayou, Charlotte Minvielle réplique : "C'est Julien Bayou lui-même qui, en juillet dernier, s'est adressé au Figaro en divulguant des éléments sur son cas, révélant que la cellule avait été saisie. Bref, nous n'avons eu que sa version à lui."

Pour autant, le télescopage des propos de Sandrine Rousseau avec une actualité marquée par l'affaire de violences avérées d'Adrien Quatennens, n'a pas manqué de faire tiquer. A raison ? "Sans doute Sandrine Rousseau aurait pu formuler sa réponse sur le plateau de C à vous de manière à moins induire le fait que Julien Bayou avait fait quelque chose d'horrible. C'est ainsi que beaucoup de gens l'ont entendu et cela aurait pu se passer autrement", reconnaît auprès de Terrafemina la sénatrice EELV Mélanie Vogel. "Mais c'était la fin de l'émission, elle n'avait qu'une minute... Ce n'est pas elle qui a mis ça sur la table, elle ne faisait que répondre à la journaliste qui lui lisait le tweet de #NousToutes".

La députée écoféministe aurait-elle dû respecter un devoir de réserve, à l'instar des membres de la cellule qui ont comme règle de travailler dans la confidentialité ? "La faute ne doit pas être rejetée sur les femmes de notre parti qui essaient de faire avancer les choses en matière de violences sexistes et sexuelles", cingle Charlotte Minvielle, balayant toute accusation de manoeuvre politique pour écarter Julien Bayou à l'orée du congrès du parti. "Julien Bayou devait de toute façon quitter ses fonctions de secrétaire national au plus tard au mois de décembre, car il n'est pas censé cumuler ce poste avec un mandat de député. Donc non, ce n'est pas un complot politique de Sandrine Rousseau pour reprendre le parti, comme cela a été avancé. Elle aussi est députée et n'a pas vocation à être secrétaire nationale."

"On a pris ces sujets au sérieux"

Alors que les dysfonctionnements et manquements internes sont pointés du doigt et que le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti a dénoncé "une justice de droit privé" ce mardi 27 septembre suite à la démission sous pression de Julien Bayou, les cadres EELV continuent à saluer l'existence de cette cellule d'enquête et de sanction sur le harcèlement et les violences sexuelles et sexistes, la première mise en place dans un parti politique en France, en 2016. "Elle n'est pas parfaite, mais c'est la meilleure chose que l'on ait actuellement", souligne Mélanie Vogel.

"Je suis choquée par la sortie de Dupond-Moretti. Ces cellules de signalement existent dans des sphères autre que politiques, dans les entreprises par exemple ", souligne Charlotte Minvielle. "La justice a ses failles et est très insatisfaisante sur les questions des violences sexistes et sexuelles, quand on sait que 75% des plaintes sont classées sans suite et que seuls 0,6% des viols ont fait l'objet d'une condamnation... Après l'affaire Denis Baupin (ancienne figure d'EELV mise en cause par plusieurs femmes pour des faits d'agressions et de harcèlement sexuel- Ndlr), on a pris ces sujets au sérieux. Ce n'est certes pas parfait, mais je pense que nous avons l'une des meilleures cellules de tous les partis politiques."

Ainsi, afin de tenter d'améliorer encore le fonctionnement de cette fameuse instance, EELV aurait prévu un audit en février 2023. L'une des pistes avancée serait notamment l'externalisation de certaines affaires "trop sensibles ou trop médiatiquement exposées".

Une solution privilégiée notamment par la sénatrice Mélanie Vogel. "J'aimerais que l'on travaille en collaboration avec l'Assemblée nationale sur des propositions législatives. Comment pourrait-on améliorer nos mécanismes de signalement ? Comment créer des espaces de parole sûrs et performants ? Je pense qu'une autorité indépendante, à l'instar du Défenseur des droits, serait intéressante."

Et l'élue féministe d'achever, impatiente qu'une conclusion claire à l'affaire Bayou soit rendue "rapidement" afin de boucler cette séquence qu'elle qualifie de "floue" : "Toute cette histoire doit nous interroger sur ce que nous aurions pu faire mieux. Si vous ne voulez pas porter plainte- rappelons que porter plainte est un droit, pas un devoir- il n'y a rien d'autre, sauf à faire confiance à ces mécanismes à l'intérieur du parti, s'ils existent. En tout cas, nous agissons et on ne peut pas nous le reprocher."

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