C'est une histoire qui ressemble à un cauchemar. Impensable. Elle s'inspire pourtant de faits réels. Imaginez plutôt : de nos jours, un parisien de confession juive vend la cave de son immeuble à un vieil homme. Mais celui-ci s'avère antisémite. Et pamphlétaire négationniste. On veut le virer, il va rester : et s'enfermer dans cette même cave où des décennies auparavant, d'autres se sont cachés pour échapper à la haine nazie.
Voilà le pitch de L'homme de la cave, à rattraper sans plus attendre sur la plateforme de francetv : vous avez jusqu'au 16 juillet pour (re)voir ce film gratuitement sur cette page. Et vous feriez mieux de vous accorder cette séance, nécessaire à l'heure où le fléau de l'antisémitisme ne s'est pas assagi. Dans le rôle-titre, François Cluzet déploie une partition bien plus subtile qu'on ne pourrait s'y attendre : dans la peau de ce personnage très obséquieux, manipulant autrui en défendant ses valeurs de soi-disant "libre-penseur" persécuté, parangon d'une contre-vérité qu'il n'avouera jamais insultante, le comédien Césarisé valorise une sobriété glaçante.
Et le film d'exprimer, sous la plume des scénaristes Philippe Le Guay, Gilles Taurand et Marc Weitzmann, une réalité vertigineuse. Tout en se réappropriant un symbole fort, tout droit hérité du cinéma d'horreur (celui de la cave façon Evil Dead), ce thriller psychologique file la nausée et fait flipper. Mais vraiment, beaucoup.
On se passionne tout au long de ces deux heures pour les mésaventures dramatiques et édifiantes de Simon et Hélène Sandberg (Jérémie Renier et Bérénice Bejo), couple au coeur de cette histoire de persécution haineuse déployée sous prétexte de "liberté d'expression". En vérité, le dessein de "l'homme de la cave" est celui de la "réinformation" - nom employé par une certaine sphère d'extrême-droite pour désigner une certaine "réalité alternative" - ou plutôt : de la désinformation.
La cave de l'immeuble où s'abrite le personnage de Jacques, professeur d'histoire licencié pour avoir contesté sous prétexte de "fact checking" la réalité de la Shoah, est une métaphore limpide d'un certain inconscient hexagonal, nourri des pires stigmatisations et fantasmes. Sombre, comme l'obscurantisme, étroit, comme la pensée complotiste, vertigineux, nauséeux, ce lieu macabre, tout droit sorti d'un film d'épouvante, représente les ténèbres de l'idéologie antisémite, alimentée par le phénomène bien trop familier du bouc émissaire.
La force du film, c'est de nous plonger sans détour dans la tête de ce personnage. Parfois agressif, offensif, mais aussi très souvent affable dans sa rhétorique, il va détailler ses convictions personnelles, la manière dont il perçoit ce qu'il définit comme une lutte intime. Jacques instrumentaliste sans pression des vérités historiques, comme l'extermination du peuple amérindien, pour dénoncer ce qu'il considère comme des mensonges. C'est de cette façon qu'il parvient à envenimer les esprits de son entourage. Quel que soit ce qu'on lui oppose, le mal est déjà fait.
La grande intelligence de Philippe Le Guay est d'ériger ce professeur d'histoire en antagoniste mais sans éluder sa facette pathétique, suscitant l'empathie ou l'écoute. Une dimension séductrice qui correspond au regard qu'il s'accorde : celui d'une victime. Une inversion évidente des réalités qui demeure indissociable des attitudes complotistes : celles des individus qui se croient seuls contre le reste du monde... Et se retrouvent surtout seuls avec leur propre haine.
Au sein de leur cave.
Selon un sondage de l'Ifop, près d'un étudiant juif sur deux aurait déjà subi une injure antisémite. 68% des Français juifs déclarent avoir déjà subi "moqueries et vexations". Ces actes antisémites ont majoritairement lieu à l'université, dans une salle de classe, mais aussi sur les réseaux sociaux (32 %) ou les soirées étudiantes (24 %). La bête immonde perdure.