15 millions de dollars (réduits à un peu plus de 10 millions de dollars par la loi locale), c'est la somme que devra verser Amber Heard, condamnée pour diffamation au terme d'un procès de 7 semaines, à son ex-époux Johnny Depp. Lui aussi a été reconnu coupable de l'avoir diffamée, et devra s'acquitter de 2 millions de dollars.
"Je suis dévastée par le fait que la montagne de preuves n'ait pas été suffisante pour faire face au pouvoir, à l'influence et à l'ascendant bien plus importants de mon ex-mari", a déclaré la jeune femme suite à la lecture du verdict dans le tribunal de Fairfax, en Virginie. "Je suis encore plus déçue par ce que ce verdict signifie pour les autres femmes. C'est un revers. Cela remet en cause l'idée que la violence envers les femmes doit être prise au sérieux".
Le traitement médiatique de ces dernières semaines, des mèmes abjects sur Heard aux louanges sur Depp parfois seulement fondées sur une admiration de la carrière de l'acteur, signe-t-il la mort de #MeToo ? C'est en tout cas un retour de bâton violent que craignent les féministes, à l'heure où la parole des femmes est certes davantage écoutée, mais continue d'être constamment remise en question et minimisée.
Aux Etats-Unis, face au déferlement de haine dont est sans conteste victime Amber Heard, des centaines de femmes auraient retiré leur plainte pour violences conjugales, rapporte Rolling Stone.
Maureen Curtis, vice-présidente des programmes de justice pénale de l'organisation d'aide aux victimes Safe Horizon, estime que le verdict est "un moyen de plus de réduire les survivantes au silence et de leur ôter la seule véritable option dont elles disposent" en dénonçant leurs agresseurs dans les médias.
Et d'ajouter : "Les survivantes qui regardent ce verdict vont repenser à tout ce qu'elles disent à haute voix sur ce qui leur est arrivé, et à la possibilité d'être poursuivies et traînées devant un tribunal pour avoir dit quelque chose qu'elles savent être vrai, mais pour lequel elles pourraient être reconnus coupables de diffamation", déplore-t-elle.
"Je me sens vraiment heureuse de penser que mon affaire n'a pas donné suite. Et stupide de penser que j'aurais pu la gagner", confie au journal une survivante qui confirme justement les peurs de Maureen Curtis. Pour la jeune femme, "les hommes gagnent toujours."
Une inquiétude partagée par de nombreux comptent militants. "Ce procès a agi en catalyseur misogyne", s'indigne de son côté la sociologue Illana Weizman. "Je n'ai pas vu un tel déchaînement contre une personne accusée même lorsque les accusations étaient ô combien plus graves et sérieuses".
Marie Coquille-Chambel, à l'origine du mouvement #MeTooThéâtre, constate encore avec effroi : "Le reversement de culpabilité accusé/agressé·e, la rhétorique masculiniste et le dénigrement des victimes de violences conjugales se diffuse pleinement. Quelle horreur". En mars dernier, peut-être "inspiré par son ami", note 20 Minutes, Marilyn Manson a ainsi porté plainte pour diffamation. Il est accusé par son ex-compagne Evan Rachel Wood de viol et de violences.
Pour faire face, l'appel est à "résister encore plus fort", lance Illana Weizman. Et Rose Lamy, créatrice de Préparez-vous pour la bagarre, de signer à son tour : "C'est maintenant, en période de Backlash que va se mesurer notre endurance et notre force". Alors, interroge-t-elle, "est-ce qu'on se résigne ou est-ce qu'on lutte encore plus fort ?" La réponse va de soi.