Le week-end, pour beaucoup, c'est approximativement ça : grasse matinée ou cours de yoga, déjeuner tardif ou brunch, ciné ou musée, sorties, gueule de bois. Un schéma a priori alléchant qui s'est vite transformé en seul modèle acceptable socialement parlant. Entre le vendredi soir et le lundi matin, il faut avoir blindé de projets les deux jours de repos censés nous requinquer d'une semaine de taf pas forcément facile. Pour montrer qu'on est intéressant·e peut-être, cool sûrement, et "comme tout le monde" assurément. On doit s'en tenir à un planning chargé car, on le ressent, la société (surtout notre entourage plus ou moins éloigné) verrait d'un mauvais oeil notre absente d'activité.
Ces quarante-huit heures sont tellement énoncées comme LE moment où l'on doit être productif·ve en termes de loisirs, qu'on se sent souvent obligé·e de tout mettre en oeuvre pour qu'elles comptent. Surtout le samedi, qui est communément associé au jour où l'on voit ses ami·e·s, ou l'on fait du sport, ou l'on rencontre du monde. Le pied, direz-vous. Sauf que pas toujours. Chez certain·e·s, ce diktat implicite et pesant qui incite à rentabiliser ses congés peut devenir oppressant.
Le magazine Glamour UK a même théorisé l'angoisse, la nommant Saturday Scaries, "la crainte du samedi". Il s'agit ainsi d'éprouver "le sentiment de peur et la pression d'être occupé un samedi, surtout quand on est célibataire et qu'on a l'impression que tout le monde a des projets", décrit la journaliste. Et ça nous parle.
Les Saturday Scaries affectent deux types de profils : celles et ceux qui ont volontairement opté pour le confort et le calme de leur logis, et celles et ceux qui ne trouvent personne pour partager leur journée. Parce qu'entouré·e·s de couples, principalement, ou de potes constamment occupé·e·s.
Dans les deux cas, l'injonction à "profiter", amplifiée par Instagram et la fenêtre constante que l'appli permet sur la vie des autres, est nocive. D'une part parce qu'elle empêche de prendre du temps pour soi sereinement, en semant le sentiment que l'on loupe quelque chose d'important à rester au chaud, d'une autre parce qu'elle associe la disponibilité, l'inactivité, à un échec. Et donc la solitude à quelque chose de négatif.
"Nous manquons tellement de temps qu'il y a beaucoup de pression autour de nos week-ends", affirme le Dr Luke Martin, psychologue, au Daily Telegraph. "Sur les réseaux sociaux, tout le monde mène une vie parfaite et bien remplie, il est donc facile de penser qu'il y a quelque chose qui ne va pas si votre vie à vous n'est pas à la hauteur. Le lundi, lorsque tout le monde compare ses week-ends et que vous avez l'impression que le vôtre n'est pas à la hauteur, votre corps n'aime pas ça, ce qui peut provoquer de l'anxiété".
Bien sûr, il est aussi courant d'en souffrir sincèrement, de cette solitude. D'avoir besoin de voir du monde pour se sentir mieux. De parler, de se retrouver avec ses proches, d'échanger, et ce sans que notre motivation soit forgée par une obligation sociale inconsciente. Mais c'est aussi cette obligation sociale inconsciente qui vient parfois nous convaincre que l'absence de plans est anormale, ou la rendre difficile, voire impossible, à gérer.
Megan, en télétravail depuis le confinement, se confie en ce sens au média britannique : "Je suis définitivement quelqu'un qui vit la peur classique du dimanche un samedi. Maintenant que je ne vois plus mes collègues tous les jours ni vraiment personne pendant la semaine, je me mets beaucoup de pression pour avoir des projets pour [ce jour-là]. J'essaie de m'assurer que j'ai des projets dès le lundi précédent, et si je n'ai toujours rien dans mon agenda le mercredi ou le jeudi, je commence à me sentir vraiment anxieuse et seule. Je me convaincs que je n'ai pas d'amis."
Pour Izzy, en couple, quel que soit son choix, l'angoisse frappe tôt ou tard : "Quand je regarde mon agenda [se remplir], je suis paniquée et je m'inquiète de ne pas avoir le temps de m'occuper de trucs perso, comme de l'administratif. Mais lorsque je me réserve le samedi pour faire ces choses, je scrolle Instagram le soir et je suis immédiatement frappée par le FOMO (peur de manquer un événement, ndlr) lorsque je vois des gens sortir". Pas simple.
Alors, quelles solutions pour aborder le week-end sans pression ? Le Dr Luke Martin invite à relativiser et se déculpabiliser : "Vous n'avez pas besoin de le passer à sauter d'un avion - il s'agit de trouver le bon équilibre. Parfois, vos week-ends seront occupés, d'autres fois tranquilles ; c'est le schéma habituel. Ce qui est important, c'est que vous utilisiez ce temps pour vous ressourcer et vous préparer pour la semaine à venir."
Il invite à lister ce qu'il appelle des "mini-moments", des choses qui nous font du bien, que l'on soit accompagné.e ou non. "Faites de votre samedi à la maison un moment privilégié", encourage de son côté Rita Watson, psychologue, auprès de Psychology Today. "Testez tous les soins beauté que vous pouvez imaginer. Mettez une belle robe de chambre. Servez-vous un verre. Lisez le livre qui se trouve sur votre table basse depuis deux semaines."
Une dernière témoin donne sa recette d'un samedi réussi à Glamour UK : "Je me suis mise à écrire physiquement une liste de choses que j'aimerais faire ce jour-là. Cela peut être aussi simple que de me rendre à pied au café du coin ou d'aller acheter les ingrédients pour me préparer un bon dîner, mais j'essaierai toujours de sortir de l'appartement. Le fait de limiter mon utilisation des réseaux sociaux les jours de calme a également changé la donne. Je ne passe donc pas la journée à tourner en rond et à envier les projets des autres."
Des petits rituels qui apaisent l'esprit, et finiront peut-être même par réconcilier les anxieux·se·s avec ces moments en tête à tête avec soi-même, pour mieux les chérir.