"Elle l'a bien cherché...", "En même temps, on connaît les risques aujourd'hui, s'habiller comme ça, c'est jouer avec le feu..." : voilà le genre de phrases, toujours accompagnées de moues désapprobatrices et attristées que l'on peut entendre lorsqu'on parle d'agressions sexuelles. Parce que, selon un sondage IPSOS commandé par l'association "Mémoire Traumatique et Victimologie" en décembre 2015, 27 % des Français considèrent qu'une femme qui porte une tenue " provocante " est responsable de ce qui lui arrive. C'est-à-dire que si vous sortez en jupe ou en robe, un Français sur quatre disculpera votre agresseur en reportant la faute sur votre tenue vestimentaire. On baigne dans une culture du viol insidieuse, à laquelle on participe parfois inconsciemment : on critique les risques pris par nos copines qui sortent en bas résille, on apprend à sa fille comment s'habiller pour ne pas risquer de se faire violer... C'est pour cela qu'une jeune photographe a choisi de dénoncer la stigmatisation que subissent les victimes.
Pourtant, la tenue vestimentaire d'une femme n'est en aucun cas un motif d'agression. Une jupe n'est pas une invitation, pas plus qu'un décolleté n'est une incitation. C'est une fausse excuse dangereuse, qui tend à normaliser le viol et à en amoindrir la gravité –et donc la responsabilité de l'agresseur. C'est pour lutter contre cela que Katherine Cambareri , étudiante à l'université d'Arcadia (Pennsylvanie, Etats-Unis) a choisi d'immortaliser les tenues d'étudiantes victimes d'agressions sexuelles. Elle a réalisé une série de photos intitulée "Well, what were you wearing ?" ("Qu'est-ce que tu portais ?" en anglais), après avoir contacté via Facebook des survivantes d'agressions sexuelles pour qu'elles lui envoient les vêtements qu'elles portaient lorsqu'elles se sont faites agresser. Le résultat est impressionnant : des clichés très sobres qui présentent les vêtements incriminés sur un fond noir et nous évoquent des photos d'autopsie ou de preuves sur une scène de crime. Et ces "preuves" ont de quoi surprendre les partisans du "En même temps, faut pas s'étonner, si elle sort habillée comme ça..." : une paire de Converse, un vieux jogging large, une chemise à carreaux, un pull en laine rouge, un T-shirt gris en coton à col rond, un débardeur à fleurs...
Ces photos sont une belle manière de démonter un cliché qui a la peau dure : "On blâme souvent les victimes en partant de la fausse conviction qu'elles ont "provoqué" leurs agresseurs en portant des tenues légères. J'ai décidé de produire un document sur les vêtements qu'elles portaient lorsqu'elles se sont faites agresser afin de montrer qu'il n'y a pas de vêtements particuliers qui provoquent une agression sexuelle. Ni de taille, ni de type de corps", explique-t-elle dans la présentation de son projet sur son site personnel. "Une agression sexuelle n'arrive jamais à cause de ce que porte une personne : la seule raison pour laquelle cela arrive, c'est parce que quelqu'un décide d'agresser quelqu'un d'autre".
En effet, tenter de trouver d'autres explications revient à minimiser la responsabilité de l'agresseur et à culpabiliser les victimes. C'est d'ailleurs ce qui a inspiré la jeune photographe : "Pendant l'été, j'ai lu 'Missoula' de Jon Krakauer [un roman racontant les atermoiements juridiques face aux viols dans université américaine] et ça m'a vraiment révoltée de voir combien les affaires d'agressions sexuelles sont traitées de manière injuste", . "Ce livre m'a vraiment ouvert les yeux sur la manière dont on culpabilise les victimes et les questions qu'on leur pose sur ce qu'elles avaient bu ou ce qu'elles portaient au moment de l'agression".
Car malheureusement, la culpabilisation des victimes est monnaie courante dans les histoires d'agressions. Que cela vienne des proches de la victime ou des autorités chargées de prendre en charge les procédures pour agressions sexuelles, la première question posée, selon Katherine Cambareri, demeure inlassablement l'insidieuse "Qu'est-ce que vous portiez quand c'est arrivé ?". "De pareilles questions sont posées afin de protéger le coupable et non pas la victime !", s'indignait-elle dans le Huffington Post. Et c'est sans doute pour cette raison que les photos de Cambareri sont aussi puissantes et dérangeantes. Les vêtements, à l'aspect quasi spectral ainsi épinglés par Cambareri, crient en silence les injustices que 23% des étudiantes dans des universités américaines sont non seulement forcées d'endurer, selon le site Break The Cycle, mais pour lesquelles elles sont parfois aussi tenues pour responsables, comme le montre le tristement célèbre exemple de Kesha. Et on ne peut qu'applaudir cette belle initiative qui cherche à rétablir le juste ordre des choses, en espérant un jour vivre dans un monde où les victimes n'auront plus à se justifier tandis que la société cherche des excuses aux vrais coupables.