Le 10 mars, Rokia Traoré a été arrêtée à l'aéroport parisien de Roissy-Charles de Gaulle, alors qu'elle sortait d'un avion en provenance de Bamako, capitale du Mali, où elle réside. La chanteuse et guitariste était visée par un mandat d'arrêt, émis par un juge d'instruction de Bruxelles, pour "enlèvement, séquestration et prise d'otage". La cause : elle n'avait pas ramené sa fille de 5 ans à son père, citoyen belge, alors qu'un jugement datant de fin 2019 lui accordait la garde exclusive, et demandait ainsi à Rokia Traoré de laisser l'enfant à son ex-compagnon.
Une décision qu'elle a contesté dès le verdict pour "protéger" sa fille, explique Le Monde Afrique. Elle avait ainsi déposé une plainte contre l'homme pour "attouchement sexuel" sur l'enfant, en Belgique, au Mali et en France, et interjeté appel du jugement de première instance. Elle assure aujourd'hui que la justice malienne lui avait déjà accordé la garde exclusive de sa fille.
"Malgré le fait que j'habite au Mali, j'ai toujours répondu à la justice belge", a affirmé Rokia Traoré, en visioconférence devant la cour d'appel de Paris, mercredi 25 mars, rapporte l'AFP. Elle explique s'être rendue en Europe notamment pour se présenter à une audience à Bruxelles, dans le cadre de son appel. Mise en détention pendant une semaine puis incarcérée à la prison de Fleury-Mérogis, elle avait entamé une grève de la faim. Son état étant jugé trop vulnérable en cette période de crise sanitaire due à l'épidémie de Covid-19, elle a été remise en liberté sous contrôle judiciaire le même jour, et devrait être extradée vers la Belgique dès que la situation le permettra. Elle y encourt 5 ans de prison.
"Nous allons désormais nous battre en utilisant toutes les voies de recours", a réagi Me Kenneth Feliho, son avocat. "Nous irons évidemment en cassation et jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme s'il le faut. Le combat auprès de la justice belge va continuer".
Me Kenneth Feliho s'insurge également contre le fait que la non-présentation de l'enfant ait été transformée en "séquestration, prise d'otage et enlèvement" afin d'émettre un mandat d'arrêt international, précise Le Monde Afrique. Il rappelle qu'une décision de justice avait déjà été rendue au Mali en faveur de Rokia Traoré, et dénonce "la violation de plusieurs conventions internationales et traités qui prévoient qu'en matière de garde d'enfant, ce sont les juridictions du lieu de résidence de l'enfant qui sont compétentes pour statuer sur sa garde et sur toutes les mesures prises dans son intérêt supérieur".
Pour Rokia Traoré la façon dont s'est déroulée l'arrestation traduit une forme de racisme. Dans une lettre ouverte rendue publique par son avocat, elle indique qu'elle était en possession d'un passeport diplomatique malien au moment des faits, qui aurait dû impliquer l'immunité : "Le juge qui a ordonné ma mise en détention à la prison de Fleury-Mérogis m'a affirmé qu'une immunité diplomatique malienne ne serait pas valable en Europe [...] Le policier à l'aéroport de Roissy m'avait indiqué que l'avocat général lui avait dit n'avoir 'rien à faire de mon immunité diplomatique'".
Le gouvernement malien a déclaré suivre "avec attention la situation judiciaire de Mme Rokiatou Traoré", qui "bénéficie de l'assistance des autorités maliennes depuis plusieurs mois". En ligne, une pétition désormais fermée a recueilli plus de 30 000 signatures pour exiger sa libération. Celle qui fut désignée ambassadrice de bonne volonté par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés, en 2016, a pu aussi compter sur le soutien de la journaliste Rokhaya Diallo, Christiane Taubira, ex-garde des Sceaux, et du musicien Salif Keita.